Pour expliquer la théorie de l'avantage comparatif selon David Ricardo, le plus simple est de commencer par un exemple ultra-simplifié. Supposons que le monde se résume à deux individus, Zlatan et Laura, et qu'il n'existe que deux biens sur cette planète, le vin et les draps. Chacun des deux individus souhaite donc pouvoir picoler tranquillement, mais aussi avoir chaud durant la nuit. Pour pouvoir répondre à leurs besoins, nos deux individus peuvent donc répartir leur 12h de travail journalier soit à la production de vin, soit à la confection de draps (oui, oui, on taff 12h par jour maintenant). Le problème est que Zlatan est plus efficace que Laura dans la production des deux biens ! Pour produire un litre de vin, il faut en effet à Zlatan seulement 1 heure de travail, tandis qu'il en faut 4 à Laura. En ce qui concerne les draps, notre ami Zlatan a besoin de seulement 3 heures pour confectionner un beau petit drap, alors que Laura est moins productive et a besoin de 6h pour le même résultat. Dans ce cas là , pourquoi Zlatan aurait-il intérêt à échanger avec Laura, étant donné qu'il est meilleur dans la production des deux biens ? C'est justement le principe de l'avantage comparatif !
Commençons d'abord par une situation sans échange, où chaque individu produit les deux biens de son côté. En 12h de travail, les possibilités de production de Zlatan sont les suivantes : (1) 12 litres de vin, (2) 9 litres de vin et 1 drap, (3) 6 litres de vin et 2 draps, (4) 3 litres de vin et 3 draps, (5) 4 draps. En autarcie, c'est à dire sans échange, les possibilités de production de Laura en 12h de travail sont : (a) 3 litres de vin, (b) 1,5 litre de vin et 1 drap ou (c) 2 draps. En premier lieu, Zlatan se dit alors "étant donné que je suis le meilleur partout, pourquoi irai-je échanger un quelconque bien ?" ! Il se rapproche alors du concept d'avantage absolu d'Adam Smith. Mais c'est là que Laura vient le voir, en lui présentant LA solution permettant aux deux individus d'améliorer leur bien-être via le concept d'avantage comparatif..
Pour la production de vin, Zlatan est 4 fois plus rapide que Laura. Par contre, pour la confection de draps, il n'est "que" 2 fois plus rapide. Là où il est le meilleur, comparativement à Laura, c'est donc dans la production de vin. Même raisonnement pour Laura ! Là où elle est la moins mauvaise, comparativement à Zlatan, c'est dans la confection de draps, car elle met certes 2 fois plus de temps pour tisser un drap, mais cela lui prend 4 fois plus de temps pour produire un litre de vin. Ce concept de "meilleur / moins mauvais" relativement à l'autre individu est ce que l'on appelle l'avantage comparatif. Selon David Ricardo, chaque pays doit se spécialiser dans la production du bien pour lequel il a un avantage comparatif, c'est à dire là où sa productivité relative est la plus forte.
Mais en quoi cela améliore t-il le bien-être général ? Supposons donc que l'on suive les recommandations de Ricardo, et que Zlatan se spécialise dans la production de vin et Laura dans la confection de draps. Dans ce cas, chaque individu produit uniquement le bien pour lequel il a un avantage comparatif, puis échange avec l'autre pour répondre à ses besoins. Zlatan passe donc 12h par jour à la production de vin ; résultat, 12 litres de vin sortent chaque jour des cuves de Zlatan. De son côté, l'atelier de Laura confectionne 2 draps par jour. Après discussion, Zlatan et Laura se mettent d'accord pour échanger 1 drap contre 2 litres de vin. Zlatan a donc désormais chez lui 10 litres de vin et 1 drap (sacrée soirée en perspective), et Laura a donc 1 drap et 2 litres de vin. Si l'on compare cette situation par rapport à la situation en autarcie, on voit alors que les deux individus ont gagné via la spécialisation puis l'échange. En effet, sans échange, Zlatan était en mesure de fabriquer au maximum 9 litres de vin s'il souhaitait avoir un drap pour avoir chaud ; son gain net après échange est donc d'un litre de vin. De son côté, la situation après échange de Laura "1 drap et 2 litres de vin" est meilleure que celle qui prévalait sans échange, lorsqu'elle passait 6h à confectionner des draps (=1 drap) et 6h à produire du vin (=1,5 litre de vin).
Le résultat est finalement assez intuitif, et peut s'appliquer à de nombreuses autres situations. Paul Samuelson, prix Nobel d'Economie en 1970, en a fait une démonstration devenue célèbre (source: Expeconomics). "Un brillant avocat envisage de recruter une secrétaire pour dactylographier rapport, courriers et autres documents quâ€il doit produire à longueur de journée. Il auditionne 10 secrétaires dans la journée, chacune subissant un test de dactylographie. A son grand dam, il réalise que celles-ci sont moins performantes dans ce domaine que lui." L'avocat a donc un avantage absolu, et selon la théorie de Smith, il devrait donc exercer en tant quâ€avocat et en même temps sâ€occuper des tâches de dactylographie. "Mais Samuelson explique très justement, reprenant Ricardo, que comme lâ€avocat est incomparablement plus performant quâ€un dactylo sur le plan du droit relativement à son écart de performance en matière de dactylo, il reste de leur intérêt commun que lâ€avocat embauche nâ€importe laquelle de ces secrétaires si cela lui permet de se consacrer à son domaine dâ€excellence, en lâ€occurrence le droit."
Mais dans l'exemple précédent, comment déterminer le prix d'échange "1 drap pour 2 litres de vin" qui permet d'améliorer le bien-être des deux individus ? Pour cela, il faut introduire le concept du coût d'opportunité de production d'un bien. Le coût d'opportunité de la production d'un drap correspond au nombre d'unité de vin qu'il faut abandonner pour produire une unité supplémentaire de drap. En autarcie, Zlatan doit abandonner 3 litres de vin (= 3h pour lui, car 1h par litre de vin) pour confectionner un drap (=3h pour Zlatan). Laura quant à elle doit abandonner 1,5 litre de vin (= 6h de travail pour elle) pour produire un drap supplémentaire. On dit alors que le coût d'opportunité d'un drap est de 3 (litres de vin) pour Zlatan et de 1,5 pour Laura.
Pour que le libre échange améliore le bien-être, le prix d'échange doit nécessairement être compris entre les coûts d'opportunité de chaque individu, donc dans notre exemple entre 1,5 et 3. En définissant un prix "1 drap pour 2 litres de vin", nous respectons donc cette condition et comme vu précédemment, les deux individus ont alors un gain à échanger. Mais qu'en serait-il avec un prix "1 drap pour 1 vin" ? Dans ce cas là , on voit facilement que Laura n'aurait aucun intérêt à échanger, car sa situation finale en se spécialisant dans le confection de drap puis en échangeant 1 drap contre 1 litre de vin serait moins bonne qu'en produisant en autarcie 1 drap et 1,5 litre de vin ! Et c'est la même chose mais cette fois-ci pour Zlatan si par exemple "1 drap = 4 litres de vin".
Plus un individu est productif relativement à un autre, plus son salaire sera élevé. Dans notre exemple, cette situation explique que le salaire de Zlatan soit plus élevé que celui de Laura. Mais dans quelle mesure ? Comme on l'a vu précédemment, Zlatan est 4 fois plus rapide que Laura pour la production de vin, et 2 fois plus rapide pour la confection de draps. Il est alors assez facile de démontrer que le salaire relatif doit être compris entre les productivités relatives, ce qui signifie ici que le salaire de Zlatan doit être au minimum 2 fois supérieur à celui de Laura, et au maximum 4 fois supérieur. Ceci permet entre autre d'expliquer les différences de salaires horaires entre pays du Nord et du Sud, en fonction de la productivité horaire.
Conclusion: Il existe de nombreuses hypothèses sous-jacentes à la théorie de Ricardo (coût de transport nul, rendements constants, un seul facteur de production, seulement deux biens et deux pays) qui rendent son application empirique difficile. Il faut dire que depuis 1817, date de la démonstration de cette théorie par l'économiste anglais David Ricardo, le commerce international a légèrement changé... Mais davantage que son applicabilité, c'est la logique économique expliquant les gains de la spécialisation et les avantages du libre-échange qui est réellement intéressante. De nombreux économistes ont essayé de relâcher certaines hypothèses du modèle afin de le rendre plus facilement transposable à la réalité. Rendez-vous donc jeudi pour la théorie d'Heckscher-Ohlin-Samuelson, utilisée dans des publications récentes permettant d'expliquer en partie la crise en zone euro ("Avantages comparatifs, dotations en facteurs de production et désindustrialisation : le cas inexpliqué de la France" et "Intégration économique, fixité des changes et rigidité salariale" par exemple).