Depuis ce matin, lundi 16 avril, il est désormais possible de spéculer sur la dette de la France. Comment? Car de nouveaux contrats sont négociables sur le marché de dérivés allemand Eurex : le contrat à terme sur Obligations Assimilables du Trésor (OAT). Qu'est ce que cela signifie? Quels sont les avantages et risques de ce nouvel instrument financier?
Un contrat à terme ("future" en anglais) est un engagement ferme de livraison d'un actif quelconque (matières premières, actions, obligations...) à une date future définie et pour un prix donné. Par exemple, supposons que vous soyez producteur de blé, et que les récoltes aient lieu dans 6 mois. Afin de vous prémunir contre une forte baisse du cours du blé entre aujourd'hui et le jour de la récolte, vous souhaitez passer un contrat avec un acheteur du type "je m'engage à vous livrer dans 6 mois 1000 boisseaux de blé, au prix de 630cts/boisseau". Pour vous, ce contrat à terme est un outil de gestion du risque ; en définissant aujourd'hui le prix de vente futur de votre récolte, il est plus facile pour vous de gérer votre exploitation car vos revenus futurs sont alors définis avec certitude. En face, l'acheteur du contrat à terme peut être soit un industriel, qui lui aura besoin de blé dans 6 mois et souhaite se couvrir contre une forte hausse du cours, soit un spéculateur qui pense que le cours du blé dans 6 mois sera supérieur au cours défini dans le contrat (et donc engendrera un gain dans ce cas là . Dans ce cas, le grand méchant spéculateur est utile à la société (et oui cela arrive), car il permet à un "acteur du marché réel" de se prémunir contre un risque. Le contrat futur est un jeu à somme nul ; lorsque l'acheteur gagne une somme donnée (par rapport au cours dans 6 mois), le vendeur a perdu cette même somme (et inversement).
Mais pour le cas de la dette française, quel est l'intérêt d'un contrat à terme? Et bien le raisonnement est un peu le même. Vous pouvez avoir besoin, dans le cas de la gestion de votre portefeuille, de vendre dans 3 mois des obligations françaises que vous détenez actuellement. Pour vous prémunir du risque de chute de la valeur de ces obligations, vous passez donc un contrat avec un acheteur, dans lequel vous vous engagez à vendre dans 3 mois "X obligations françaises au prix de Y euros chacune". Dans ce cas là , le contrat à terme permet donc bien une couverture du risque pour vous, peu importe que la personne qui achète le contrat à terme soit un investisseur (qui lui souhaite acheter des obligations, mais seulement dans 3 mois) ou bien un spéculateur, qui parie sur la hausse du cours.
Oui mais... Les contrats à terme peuvent aussi être utilisés dans le cas de spéculation pure, pour parier à la baisse sur le cours de l'OAT française (= parier sur une hausse des taux auxquels la France emprunte). Il n'est pas nécessaire en effet que l'acheteur ou le vendeur du contrat à terme détienne ou souhaite détenir le sous-jacent (=l'OAT française). Il est de plus impossible de "vendre à découvert" une OAT française sur le marché au comptant (alors que la "vente à découvert" est autorisée sur le marché action) ; l'ouverture d'un marché futur permettra de parier à la baisse, avec un effet levier important. Si tout le monde souhaite vendre des contrats à terme de dette française, cela aura un impact sur le cours de l'OAT, sous réserve bien sur que les montants engagés sur le marché à terme soient assez importants.
Alors pourquoi lancer ces contrats à une semaine des élections, dans un contexte de crainte sur la dette française? Même Jean-Pierre Jouyet, le président de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) a annoncé qu'"il est vrai que ce produit risque d'être considéré comme spéculatif et que, dans le contexte actuel, ce n'est pas un bon signal qui est donné".
Simplement car Eurex est une société allemande privée leader des bourses de produits dérivés, et que le gouvernement ne peut pas légalement s'opposer à cette initiative privée. Et pourquoi cette société lance t-elle ce produit? Car c'est pour Eurex un excellent outil marketing (tout le monde ne parle que d'Eurex aujourd'hui) et cela devrait permettre à cette société privée de gagner de l'argent en tant qu'intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs de contrats à terme.
Conclusion: Il est encore trop tôt pour savoir si ce contrat à terme aura un réel succès et si les montants engagés sur ce marché pourront avoir un impact ensuite sur le cours de l'OAT. Lancés sur une dette stable, comme celle allemande, les contrats à termes permettent d'apporter de la liquidité au marché et de permettre les acteurs du marché de se couvrir (=bien). Dans l'état actuel de la France, cela risque d'avoir bien plus d'effets négatifs que positifs... Pour plus d'infos, le Captain' vous conseille l'article du trader Eric Valatini sur Margin Call "Pouvoir jouer la chute de la dette francaise", dans lequel ce dernier critique ce nouveau produit dérivé, en remettant en cause son utilité réelle.