D'un côté une image qui buzz sur Facebook (pro UMP), critiquant l'affirmation de M. Hollande et sa notion de "gestion efficace" des socialistes de 1981 à 1995, alors que la dette de la France a été multipliée par 8 sous Mitterrand (selon cette source de 89,79 milliards en 1981 à 720,63 milliards en 1995). De l'autre, de nombreux articles et livres (pro PS) dénonçant le "quinquennat à 600 milliards" de Nicolas Sarkozy, en soulignant que l'augmentation en valeur de la dette lors des 5 dernières année a été la plus forte que la France n'ait jamais connu. Alors qui a raison?
Voici donc l'image buzz Facebook (pro UMP - voir dernier paragraphe) en question, et les livres et articles (pro PS) sur la gestion de la dette "Gauche Versus Droite".
Le Captain' reviendra demain sur la première partie de l'article pro UMP, en "rétablissant la vérité" (waouh quel justicier masqué!) sur le chiffrage de la réforme de l'augmentation du nombre d'enseignants (+60.000 postes sur 5 ans). Mais restons-en à notre problème de la dette.
Avant tout, un petit graphique de l'augmentation de la dette en valeur selon les présidents. Les données sont extraites de la base de données du FMI, avec une approximation linéaire pour prendre en compte le fait qu'un président est élu en mai et non pas au début de l'année (même si cela ne change pas grand chose à notre raisonnement). L'augmentation en valeur est ici indiquée par année, afin de pouvoir comparer sans biais des présidents ayant été élus pour 7 ans et ceux ayant fait un mandat de 5 ans.
Avec ces deux graphiques, on retrouve bien les deux lectures différentes des pros-UMP / pros-PS : (1) la dette de la France sous Mitterrand a bien été multipliée par 6 (et non pas par 8 comme l'article l'indique) entre 1981 et 1995 et (2) la dette de la France a bel et bien augmenté de près de 600 milliards sous le mandat de Sarkozy (moyenne de 117 mds de hausse annuelle sur 5 ans = +588 mds).
Mais attention à ne rien conclure trop rapidement. Lorsque l'on parle de la dette, il est bien plus intéressant de regarder non pas la dette en valeur, mais la dette en pourcentage du PIB. Si l'on s'amuse à réaliser le même graphique que précédemment, mais en regardant l'augmentation en point de PIB moyen par an, voici les résultats.
En moyenne, la dette a augmenté de 2,15 points de PIB par an durant le 14 années du mandat de Mitterrand (dette en % du PIB en 1981: 21% / dette en % du PIB en 1995: 51%). Exprimer cela en point de PIB plutôt qu'en valeur est plus logique afin de pouvoir comparer des périodes différentes et tenir compte de l'inflation. Mais là encore et toujours, le quinquennat de Nicolas Sarkozy apparaît comme celui où la dette a le plus augmenté, passant de 64% du PIB à son investiture en mai 2007 à près de 87% du PIB maintenant!
Mais cela serait trop simple de conclure que Nicolas Sarkozy est LE responsable de cette hausse de la dette. Il y a bien évidemment un effet crise qu'on ne peut ignorer. Cet effet est relativement difficile à mesurer, mais une méthode consiste à comparer la hausse de la dette en point de PIB en France entre 2007 et 2012 (87 - 64 = +23 points de PIB = 4,5 points en moyenne par an comme sur le graphique ci-dessus), avec la hausse, toujours en point de PIB, dans les autres pays développés. Pour avoir des données comparables entre les différents pays, la hausse de la dette est prise entre fin 2006 et fin 2011 (ce qui ne change quasiment rien aux résultats).
Entre fin 2006 et début 2011, la dette de la France a donc bien augmenté d'environ 23 points de PIB. C'est beaucoup, mais moins qu'en Espagne, qu'en Angleterre ou qu'aux USA. En queue de peloton, le Portugal, la Grèce et l'Irlande : les trois pays ayant reçu une aide du FMI (hausse de la dette en valeur avec baisse du PIB en valeur = explosion de la dette en pourcentage du PIB).
Un dernier petit détail avant de conclure: il y a une bonne dette et une mauvaise dette. Si la dette d'un pays augmente car le gouvernement investit dans des projets à long terme (recherche, éducation...), alors les dépenses du gouvernement financées par la dette à une période t devraient sur le long terme entraîner une hausse de la croissance. Et donc même si la dette n'est pas remboursée en valeur, la dette en pourcentage du PIB devrait diminuer (via la hausse du PIB réel si hausse de la croissance). Par contre, lorsque la dette augmente uniquement pour financer des déséquilibres structurels, alors c'est un cercle vicieux, dont la fin peut être beaucoup plus proche que ce que l'on imagine.
Et pour reprendre un graphique de l'article "Républicains VS Démocrates : La hausse de la dette US selon le parti au pouvoir", voici la hausse de la dette en point de PIB moyen annuel à différentes périodes depuis 1981 (date de l'élection de Ronald Reagan). Les périodes correspondent ici aux mandats des présidents américains, mais cela apporte tout de même une vision temporelle de la problématique de la dette.
Conclusion: Il est très difficile de comparer la hausse de la dette à des périodes totalement différentes, sans tenir compte du contexte international. Donc encore et toujours cette même conclusion : attention aux simplifications et aux articles démago'. Depuis 1981, peu importe le gouvernement, la dette en pourcentage du PIB a augmenté ! Pourquoi? Simplement car depuis 1974, aucun gouvernement n'a voté ni exécuté un budget en équilibre ! Règle d'or ou pas, gauche ou droite, il faut absolument corriger cela dans les années à venir, sous peine de voir les taux d'intérêt s'envoler et le charge de la dette devenir insoutenable. Reste donc à voir comment réaliser une consolidation budgétaire sans trop détruire la croissance (voir le papier de l'OCDE "Consolidation budgétaire : Quelle ampleur, quel rythme et quels moyens ?").