Comment la valeur ajoutée est-elle partagée entre la rémunération du facteur travail (= rémunération des salariés) et la rémunération du facteur capital (=excédent brut d'exploitation ou marge opérationnelle). Alors que l'on pourrait penser que le partage de la valeur ajoutée se déforme en faveur des profits (au détriment des salariés,) c'est l'inverse que l'on voit en réalité depuis quelques années. Et cela n'a pas que des conséquences positives...
L'excédent brut d'exploitation (EBE) est le solde du compte d'exploitation pour les sociétés. Il est égal à la valeur ajoutée, diminuée de la rémunération des salariés, des autres impôts sur la production (mais pas l'impôt sur les sociétés) et augmentée des subventions d'exploitation. Pour faire simple, si une entreprise à un EBE égal à 30% de la valeur ajoutée, cela signifie que sur 100 euros de valeur ajoutée créée, la marge opérationnelle de l'entreprise est de 30 euros. L'entreprise devra ensuite, avec ces 30 euros, amortir ses immobilisations, rembourser ses dettes, payer l'impot sur les sociétés, verser des dividendes et réaliser des investissements...
La rémunération du facteur travail (= des salariés) a quant à elle deux composantes: (1) le salaires et traitements bruts et (2) les cotisations sociales à la charge de l'employeur. Si l'on regarde l'évolution du partage de la valeur ajoutée entre 2000 et 2010, on note bien une déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des salariés depuis 2007.
Entre 2007 et 2010, la rémunération des salariés en pourcentage de la valeur ajoutée a augmenté de 1,5 point (1point d'augmentation de salaires et traitements bruts et 0,5 point d'augmentation des cotisations sociales employeurs), et dans le même temps, la part de l'EBE a diminué de 1,8 point. Cette déformation du partage de la valeur ajoutée est confirmée aussi sur les Sociétés Non-Financières (SNF), dans le Flash Eco de Patrick Artus "Quelques faits utiles à rappeler à ceux qui proposent des programmes de politique économique pour la France".
"C'est une bonne chose que les salariés aient une part plus importante de la valeur ajoutée d'une entreprise, non?" Sur le papier oui, mais cela pose un problème majeur pour les entreprises: la baisse de la marge opérationnelle entraîne une baisse de la capacité d'auto-financement. La quoi? La capacité d'autofinancement représente les ressources brutes restant à l'entreprise à l'issue de l'exercice. L'entreprise peut choisir soit de les distribuer, soit de les réserver au financement de ses investissements (définition INSEE). Lorsque l'EBE diminue, les entreprises n'ont plus les moyens d'investir, ce qui sur le long terme empêche une montée en gamme de la production française. Sans ce processus de montée en gamme de la production française (que les allemands ont su faire), les produits français vont être de plus en plus exposés à la concurrence des produits des pays en voie de développement.
Le graphique ci-dessous montre que les marges des entreprises ont augmentées en Allemagne en moyenne depuis 2003, alors que celles-ci ont fortement diminuées en France depuis 2001. Comment lit-on ces graphiques? L'évolution de la marge bénéficiaire peut-être estimée en regardant la différence entre le prix de la valeur ajoutée et le coût salarial. On voit bien que, en prenant un même indice base 100 en 1998, la courbe de prix en Allemagne (en gris) est au dessus de la courbe de coût (en violet, sauf durant le pic de 2009 avec une hausse du coût salarial unitaire via la baisse de la production), alors qu'en France c'est totalement le contraire.
La vision de la santé du tissu économique français est souvent faussée par la situation des grandes entreprises du CAC40, qui est contrairement à celle des PME est plutôt bonne. Selon Patrick Artus, "une politique de taxation des profits pour accroître les salaires serait donc dangereuse dans lâ€Ã©tat actuel de la profitabilité des entreprises. La confusion vient souvent de la situation très différente des entreprises du CAC40, qui ont effectivement des taux de profitabilité et dâ€autofinancement très élevés."
Conclusion: Il faut en France réussir à relancer l'investissement des Sociétés Non-Financières (SNF). Une baisse des cotisations patronales pourrait permettre alors d'augmenter l'EBE des entreprises sans diminuer les rémunérations des salariés. C'est d'ailleurs la proposition de Patrick Artus pour qui "La réponse qui semble sâ€imposer est alors une réforme fiscale avec baisse des charges sociales des entreprises, financée soit par réduction des dépenses de protection sociale, soit par hausse dâ€autres impôts." (source ici). Mais comme il le souligne ensuite, il faut que la hausse des marges des entreprises servent à relancer l'investissement, et non pas à distribuer des dividendes... Il est très difficile d'anticiper les réactions des agents, et encore plus compliqué d'obliger une entreprise à investir ou bien d'interdire la redistribution de dividendes supplémentaires.