L'euro est-il surévalué ? Et faudrait-il que la Banque Centrale Européenne intervienne sur les marchés pour dévaluer l'euro afin d'améliorer la compétitivité des pays de la zone ? Voici le débat du moment, avec d'un côté les pays de "l'Europe du Sud", emmenés par la France, et de l'autre les Allemands et les "pays du Nord" de la zone, accompagnés par la BCE. Le fond du problème est finalement assez simple : si l'euro est dévalue, alors cela sera favorable pour les producteurs européens exportant en dehors de la zone euro, et donc cela pourrait permettre aux entreprises exportatrices de gagner en compétitivité, et in fine de relancer l'industrie. Mais alors, pourquoi certains pays s'opposent à cette idée ?
Car de l'autre côté, une dévaluation de l'euro entraînerait un renchérissement du prix des importations, ce que l'on appelle l'inflation importée. Un exemple classique : lorsque l'euro baisse par rapport au dollar, cela permet aux entreprises françaises exportant aux USA de gagner des parts de marché, mais cela provoque dans le même temps une hausse du prix de l'essence pour le consommateur. La question principale est donc de mesurer le côté positif ET le côté négatif d'une dévaluation pour les différents pays de la zone, afin de voir l'impact global sur la compétitivité et le PIB de la zone euro.
Lorsque l'on parle du problème de "l'euro fort", il existe une fâcheuse tendance à se focaliser uniquement sur le taux de change euro-dollar pour évaluer la compétitivité de la zone euro. Il est vrai que les Etats-Unis sont un partenaire commercial important de la zone euro ; mais si l'on regarde l'ensemble des exportations vers des pays en dehors de la zone euro (donc les exportations sur lesquelles une dévaluation peut avoir un impact), les Etats-Unis ne représentent que 12,07% du total de ces exportations (moyenne sur la période 2007 - 2011 ; source : "ECB External Trade").
Pour évaluer réellement le niveau de l'euro, il convient donc de ne pas regarder uniquement la variation euro-dollar, qui donne une vision très partielle de la situation, mais de s'intéresser à ce que l'on appelle le taux de change effectif. Selon la définition de l'INSEE, le taux de change effectif est le taux de change d'une zone monétaire, mesuré comme une somme pondérée des taux de change avec les différents partenaires commerciaux et concurrents. La pondération correspond à l'importance de chaque partenaire commercial "extra-zone", en ce qui concerne le niveau des importations et exportations de biens et services. La Banque Centrale Européenne calcule ainsi la pondération de chaque pays (plus la pondération est forte, plus le pays est un partenaire commercial important), afin d'évaluer les variations de l'euro non pas uniquement face au dollar, mais face à une moyenne pondérée des monnaies des principaux pays partenaires de la zone. Le "EER-20" correspond aux taux de change effectif nominal (EER pour Effective Exchange Rate) prenant en compte 20 grands pays partenaires de la zone. Les pondérations de chacun des partenaires sont les suivantes (sur le site de la BCE, est présenté aussi le EER-40, avec entre autre la Russie, la Turquie, l'Inde et Brésil qui ont un poids relativement important):
Il est donc vrai que le taux de change euro-dollar est important, car il faut aussi prendre en compte le fait que certains pays managent leur taux de change en fonction du dollar US et qu'une partie du commerce avec des pays hors-USA s'effectue en dollar... Mais regarder uniquement cette parité pour conclure que "l'euro est trop fort" (comme c'est très souvent fait dans les médias ou par les politiques) nous ferait manquer une belle partie de l'histoire. Si l'on s'intéresse uniquement aux exportations vers des pays "hors-zone", les Etats-Unis représentent à peu près la même chose que le quatuor Pologne-Suède-Corée-Canada... Et pourtant, on entend rarement parler du taux de change euro-zloty (Pologne), euro-couronne (Suède), euro-won (Corée) ou bien euro-dollar canadien (Canada).
Sur le site de la BCE, le taux de change effectif nominal de l'euro est calculé chaque jour (source "Daily nominal effective exchange rate of the euro"). Sur le graphique ci-dessous, on note il est vrai une forte appréciation de l'euro par rapport à la moyenne pondérée des autres monnaies depuis l'été 2012, c'est à dire à peu près depuis que Mario Draghi a rassuré les marchés avec son fameux "Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough". Mais si l'on compare le niveau actuel aux niveaux historiques pré-crise, l'euro est actuellement bien en-dessous de son niveau de 2007/2009 (et c'est aussi vrai si l'on regarde uniquement la parité euro-dollar, qui se trouve actuellement dans la moyenne basse des 5-6 dernières années).
Taux de change effectif nominal de l'euro
Si l'on veut s'intéresser de près à la compétitivité (le centre du débat actuel), il est d'ailleurs préférable de regarder le taux de change effectif réel, qui prend en compte la moyenne pondérée des monnaies des principaux partenaires commerciaux, ajustée du différentiel d'inflation. C'est un tout petit peu technique pour expliquer cela rapidement, mais voici ce qu'en dit la BCE.
Dans un article publié aujourd'hui et intitulé "Il faut arrêter de fantasmer sur la baisse de l'euro" (CIB Natixis, 11 février 2013), Patrick Artus utilise justement ce taux de change effectif réel de la zone euro pour montrer que, par le passé, il n'existe aucun effet des variations de taux de change sur le PIB de la zone euro. Alors que l'euro a tout de même beaucoup varié depuis sa création (niveau très bas au départ, forte appréciation au début des années 2000, pic mi-2008 et forte dépréciation avec la crise de la dette), il ne semble pas qu'il existe de relation claire entre le niveau de l'euro et le PIB total de la zone euro en volume (voir graphique).
Pour identifier plus précisément l'impact d'une dévaluation sur le PIB total de la zone, il est important de prendre en compte ce que l'on appelle les élasticités vis-à -vis du taux de change des exportations et des importations de la zone. L'élasticité ? Pour faire simple, cela consiste à regarder comment varient en pourcentage les importations et les exportations lorsque le taux de change se déprécie de 1% (par exemple). Si l'élasticité est faible (proche de 0 en valeur absolue), cela signifie donc que si l'euro perd 1% de sa valeur, alors les exportations en volume ne vont que très peu progresser ! Dans ce cas, l'effet positif "hausse des exportations" sera faible, et il est fort possible que l'effet négatif via la hausse du prix des importations soit plus important, et donc qu'une dévaluation entraîne une perte pour la zone.
Selon cette étude, les élasticités vis-à -vis du taux de change en zone euro sont faibles (relativement proches de zéro), et donc, je cite, "compte tenu de la taille des exportations et des importations, et des élasticités vues plus haut, l'effet prix des importations l'emporte sur l'effet volume des exportations et des importations. Donc une dépréciation de l'euro réduit le PIB en volume". La conclusion de Patrick Artus est finalement très simple : "il faut peut-être oublier la dépréciation de l'euro comme instrument de sortie de la crise de la zone euro".
Conclusion: En réponse à l'accusation d'un "euro trop fort" prononcé par Moscovici et Arnaud Montebourg, le porte-parole d'Angela Merkel a répondu il y a quelques jours qu'une dévaluation ciblée ne permettait d'obtenir que des impulsions à court terme, que cela ne pouvait pas assurer de cette manière un renforcement à long terme de la compétitivité et que "si vous regardez le contexte historique, le gouvernement allemand considère que l'euro n'est pas surévalué à l'heure actuelle". Sur ce coup là , le Captain' rejoint l'ennemi et passe du côté allemand ! Cela ne veut cependant pas dire que la BCE ne doit pas avoir un rôle à jouer en cas de guerre des monnaies pouvant avoir un impact sur la stabilité de la zone... Mais en l'état actuel, le Captain' a l'impression que l'euro sert un peu de bouc émissaire pour justifier la perte de compétitivité de la France et des pays du Sud, alors que le fond du problème est finalement ailleurs (manque de réformes, pas de projet commun à long terme, zone monétaire non-optimale, niveau de vie au dessus de nos moyens durant de nombreuses années...) !