Le Club de Paris est un groupe informel de 19 pays créanciers (USA, Japon, Australie, Russie et 15 membres européens dont la France), dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays débiteurs. Les créanciers de ce Club, dont la première réunion s'est tenue en 1956, peuvent accorder des allègements de dette extérieure publique pour les pays pauvres endettés. Depuis sa création, le Club de Paris a conclu 428 accords avec 90 pays endettés, pour un montant total de dette traitée de 573 milliards de dollars (rééchelonement ou annulation) ! L'accord le plus récent date d'il y a seulement quelques semaines, lorsque le Club de Paris a accordé une annulation de dette à l'Union des Comores dans le cadre de l'initiative renforcée en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) pour un montant de 8,06 millions de dollars (source : Club de Paris).
Mais comment se fait-il que la France, par exemple, ait prêté de l'argent à certains pays pauvres, alors que la France est elle-même en déficit ? Dans le cadre de l'Aide Publique au Développement, la quasi-totalité des pays riches du globe consacre une partie de leur budget pour soutenir les pays les plus pauvres dans leur développement. En 2010 par exemple, les apports nets dâ€aide publique au développement consentis par les membres du Comité dâ€aide au développement (CAD) de lâ€OCDE ont totalisé 128,7 milliards de dollars (source : OCDE). En France, l'APD représente environ 13 milliards de dollars par an, soit à peu près 0,5% du Revenu National Brut. Cette aide peut s'effectuer sous la forme de dons, mais aussi sous forme de prêts à taux préférentiels.
Aide Publique au Développement (2010, en millions de dollars)
Aide Publique au Développement (2010, en millions de dollars)
D'après un rapport du Sénat de novembre 2012 (source : Sénat) concernant le Projet de Loi de Finance 2013, la France consacre environ 1 milliard d'euros par an à l'annulation ou l'allègement de la dette des pays pauvres, en acceptant d'abandonner une partie du montant des prêts concédés dans le cadre de l'APD. C'est donc bien vos impôts (ou une hausse de la dette de la France) qui permettent une réduction de la dette des pays pauvres.
Mais attention, la question n'est pas tant de se dire "ah quel scandale, l'argent des mes impôts sert à annuler la dette d'autres pays alors que l'on ne m'a rien demandé" mais davantage "cette annulation de dette est-elle réellement justifiée et permet-elle d'améliorer la situation du pays concerné ?". Pour répondre à cette question, il faut bien comprendre que lorsque le Club de Paris décide, sous la présidence du Directeur Général du Trésor, d'alléger la dette d'un pays, ce "cadeau" est conditionné à des réformes et obligations pour le pays endetté. En effet, le pays débiteur demandant un allègement de sa dette doit avoir un programme en cours auprès du FMI, l'engageant à mettre en oeuvre des réformes pour améliorer sa situation économique et financière.
Par exemple, regardons l'Union des Comores (l'exemple le plus récent d'une annulation de dette par le Club de Paris). L'accord conclu avec le Club de Paris il y a quelques semaines est l'aboutissement de toute une série de réformes et d'actions instaurées par l'Union des Comores, sous le contrôle du FMI, afin d'améliorer la situation du pays. Un rapport du FMI de novembre 2012 récapitule les efforts faits par la petite île d'un million d'habitants depuis quelques années (source : "Union of the Comoros: Enhanced Initiative for Heavily Indebted Poor Countries"), que ce soit au niveau de la stabilité macro-économique, de la situation des finances publiques, de la gouvernance, mais aussi en ce qui concerne la corruption, la santé ou bien l'éducation.
Les objectifs sont chiffrés précisément, et le FMI vérifie la bonne tenue des recommandations (construction de 210 écoles, campagne de vaccination, amélioration du management de la dette publique grâce à de nouveaux logiciels, adoption d'une loi pour le contrôle externe du budget...). La majorité des objectifs étant été tenus, le Club de Paris a accepté d'annuler une grande partie de la dette extérieure publique de l'Union des Comores. Chaque pays membre a donc accepté d'annuler les créances qu'ils avaient envers l'Union des Comores, afin d'aider le pays à se remettre dans le droit chemin (et aussi au passage car souvent conscient que, dans tous les cas, le pays ne sera jamais en mesure de rembourser sa dette).
"All key decisions, actions, and measures required to achieve all but one of the floating completion point triggers have been taken, including broadly satisfactory implementation of the poverty reduction strategy in the last two years; achievement of gains in fiscal consolidation and macroeconomic stability; progress in improving public financial and debt management; and advances in restructuring the public utilities. The authorities have also developed new institutional frameworks aimed at achieving improved outcomes in procurement and governance, and in better tackling corruption. In the education and health sectors, new schools have been built and required vaccination campaigns undertaken".
Cette réduction de dette a été réalisée au titre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque Mondiale et du FMI. L'idée de cette initiative est d'assurer qu'aucun pays nâ€est confronté à une charge d'endettement quâ€il ne peut gérer, pour permettre à ces pays de consacrer une plus grande partie de leur budget à l'éducation, à la santé et aux dépenses sociales plutôt qu'au remboursement de leur dette.
De nombreux travaux ont été consacrés à l'utilité de l'annulation de cette dette, afin de voir si cela était "un coup dans l'eau" ou bien si cela apportait un réel soutien au développement de long terme pour les pays endettés. Un très bon article de Marin Ferry publié sur BS-Initiative ("Dette et Développement: pendant ce Temps La, dans lâ€Hémisphère Sud…") s'appuie sur la littérature récente dans le domaine pour montrer que, malgré l'aléa moral que cela peut créer (quel serait en effet lâ€intérêt dâ€un pays pauvre à produire dâ€importants efforts fiscaux et budgétaires afin de rembourser sa dette sachant quâ€Ã tout moment il pourrait éventuellement bénéficier dâ€une annulation de cette dernière ?), les économies et gains issus de lâ€annulation de dette promeuvent les dépenses de santé, lâ€investissement public, et la mobilisation fiscale au sein des pays bénéficiaires ("Dynamic fiscal impact of the debt relief initiatives on african heavily indebted poor countries (HIPCs)" - Cassimon, Ferry, Raffinot & Van Campenhout).
Conclusion : L'aide directe et les dons aux pays africains sont souvent critiqués (manne financière captée par une partie de la population, corruption, néo-colonialisme..). Dans l'ouvrage "L'aide fatale : Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique", Dambisa Moyo (PhD à Oxford, ex Banque Mondiale et ... Goldman Sachs) affirme que l'assistance financière a été et continue d'être pour une grande partie du monde en développement un total désastre sur le plan économique, politique et humanitaire. Mais davantage qu'une simple aide financière sous forme d'une annulation de dette, le Club de Paris et les différentes initiatives de réduction de la dette ont comme objectif d'accompagner le développement des pays les plus pauvres de la planète. Il est en effet nécessaire de sortir de la politique d'assistanat de la période post-colonisation (dont les résultats sont "entre mauvais et désastreux"...), pour passer à une politique d'accompagnement au développement. En allant dans ce sens, l'annulation de dette et les programmes du FMI (souvent critiqués dans la gestion de crise, mais très utiles selon moi pour aider certains pays à se développer et à se prendre en main) permettent de donner une seconde chance à des pays qui en ont bien plus besoin que nous...