Herman Van Rompuy, l'actuel président du Conseil européen, l'a annoncé sur son compte Twitter il y a quelques heures "Restructuration de la dette grecque:Le tournant dans la crise est atteint. Nous allons vers une mer plus calme. HVR". Mais ça signifie quoi "la restructuration de la dette grecque"? Et allons nous vraiment vers une mer plus calme?
Si vous n'avez rien suivi à l'actu économique depuis quelques semaines, voici un résumé de la situation grecque Made In Captain'. La Grèce a une dette énorme (environ 350 mds d'euros, soit 160% du PIB). Incapable de rembourser sa dette, la Grèce n'est plus en mesure d'emprunter sur les marchés internationaux et dépend depuis mi-2010 des plans d'aides accordés par le FMI/UE. Pourquoi la Grèce ne peut plus emprunter sur les marchés internationaux? Techniquement elle pourrait le faire, mais les investisseurs exigent sur le marché un taux d'intérêt annuel de 38,97% pour prêter à l'Etat grec à 10 ans! 38,97% par an ! J'ai ouïe dire que c'était un peu beaucoup !
Pour remettre le pays dans le "droit" chemin, le plan est le suivant (1) les autorités grecques doivent rééquilibrer leurs finances publiques, en diminuant les dépenses et en collectant mieux les taxes, (2) la troïka (FMI, BCE, UE) se charge de répondre aux besoins de financement de la Grèce (via plan d'aides) en prêtant de l'argent à l'Etat grec a un taux soutenable (pour éviter une hausse ingérable de la charge d'intérêt de la dette), et (3) les créanciers privés (banques, fonds de pensions, assureurs...) acceptent d'effacer une partie de la dette, pour un montant d'environ 100 mds d'euros.
(1) On arrête de faire des déficits, (2) on emprunte pour pas trop cher, (3) on efface une partie de la dette. C'est hier que se jouait le troisième point de ce plan de sauvetage. En effet c'est bien beau de dire "on efface 100 mds de dette", mais dans ce cas là , cela s'appelle un défaut de paiement pur et dur ("hard default") et cela a de multiples conséquences inconnues. Il n'y a jamais eu de défaut au sein de la zone euro, et un premier "hard default" aurait pu contraindre la Grèce à sortir de l'Euro. Au lieu de ce "hard default", la Grèce espérait donc négocier un accord volontaire d'effacement d'une partie de la dette.
Pour faire une métaphore grossière, imaginez que vous ayez emprunté 100 euros à 10 de vos amis/connaissances. Sauf que comme un con, plutôt que d'utiliser cet argent à des investissements productifs, vous en avez dépensé une grande partie en picole et au casino. Vous sentez bien que vous ne serez jamais en mesure de rembourser vos amis. Donc là deux choix s'offrent à vous (1) soit vous envoyez un courrier à vos amis, en leur disant "vous êtes des cons, j'ai pas d'argent, je vous rembourserai jamais un seul centime" ou (2) vous invitez vos amis à dîner, vous expliquez vos difficultés actuelles tout en montrant les efforts que vous êtes prêt à faire, et vous demandez à vos amis d'annuler une partie de votre dette car sinon vous ne vous en sortirez jamais.
Dans le second cas, si tous vos amis acceptent d'annuler une partie de votre dette, il n'y a pas "événement de crédit" (en gros il n'y a pas défaut ni déclenchement des CDS), car l'annulation de dette est volontaire. Par contre si seulement 9 de vos amis acceptent d'annuler une partie de votre dette (par exemple 50% de votre dette, soit 50 euros chacun) mais que le dernier refuse, il existe ce que l'on appelle une "Collective Action Clause" (CAC) qui permet de forcer les créanciers ne souhaitant pas restructurer la dette à le faire, si un large pourcentage du total des créanciers souhaitent que la dette soit restructurée.
Et maintenant on explique tout cela avec un graphique, que le Captain' a piqué de l'excellent article "PSI : J-2 avant le verdict final !" sur MarginCall.
Waouh, bon comment on lit ce chart Captain' ? Alors pour le cas Grec, selon le taux de participation des créanciers (=selon le pourcentage des créanciers privés acceptant que la dette soit restructurée), il y a soit (1) "hard default" (si le taux de participation est inférieure à 67%), soit (2) pas de défaut si la participation est supérieure à 95% soit (3) un scénario entre les deux, si la participation est entre 67 et 95%.
Le verdict est donc tombé hier: 83,5% des créanciers ont accepté de restructurer la dette de la Grèce. On se retrouve donc dans notre scénario (3), et comme expliqué ci-dessus, il est possible d'activer les "Collective Action Clause" pour forcer ceux n'ayant pas signé a aussi effacer une partie de la dette (le "Use of CACs" sur le graphique ci-dessus). Nous nous retrouvons donc dans un cas "à la Northern Rock" -> Participation (forcée) à 100%, 110 mds de réduction de dette et activation des CDS (le cas entouré en rouge).
Et donc quelles sont les conséquences de cela? L'intégralité des créanciers n'étant pas d'accord, l'activation des CAC déclenche les "Credit Default Swap". Credit Default Quoi ? Explications par le Captain' Les Credit Default Swap ici . On ne connaît pas encore précisément les effets de cela, mais alors que l'on annonçait il y a quelques mois que le déclenchement des CDS serait une catastrophe, on dirait que maintenant tout le monde s'en fou (très étrange d'ailleurs). Pour plus d'infos sur les déclenchements des CDS dans le cas grec, lire cet article sur Les Echos.
Conclusion: Un grand ouf de soulagement depuis hier, la restructuration de la dette grecque va finalement avoir lieu et la Grèce va rester dans la zone euro (enfin pour le moment). Après de là à dire comme Herman Von Rompuy que "nous allons vers une mer plus calme", le Captain' n'est pas convaincu du tout. Dans le fond, une partie de la dette a été annulée, mais la Grèce est toujours incapable de rééquilibrer ses finances publiques et les prévisions de croissance sont catastrophiques. On ne connaît pas non plus exactement les effets du déclenchement des CDS et si certaines banques ne vont pas se retrouver en extrême difficulté à cause de cela. En effet, les banques ayant vendu des CDS (sorte de contrat d'assurance) vont subir de fortes pertes via l'activation des CDS, en plus des pertes enregistrées dues à l'effacement d'une partie de la dette qu'elles détenaient. Nous ne sommes donc pas à l'abri de voir la faillite d'une banque commerciale grecque et un effet boule de neige (contagion) sur d'autres banques. Réponse dans les prochaines semaines!