Les élections américaines auront lieu dans moins d'une semaine, le 6 novembre très exactement. Barack Obama et Mitt Romney sont au coude à coude selon l'institut de sondage Gallup (égalité parfaite selon le dernier sondage). Obama perd d'ailleurs du terrain depuis de nombreuses semaines, comme le montre tableau ci-dessous qui résume les intentions de vote sur période de trois semaines (le dernier sondage "Gallup" datant du 28 octobre à cause de l'ouragan Sandy). Derrière les caricatures "Romney est débile et Obama est un bon ricain à la cool" (merci Les Guignols), intéressons nous donc au programme politique des deux candidats.
Un peu comme en France au moment du duel entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, les deux candidats se déclarent pour un retour des finances publiques à un niveau soutenable de long-terme. Mais démocrates (Obama) et républicains (Romney) sont opposés en ce qui concerne la manière d'arriver à cet objectif: coupes de dépenses et politique de l'offre du côté des républicains et un mix entre coupes de dépenses, hausse des impôts et politique de la demande côté démocrate. De nombreuses questions entourent ce que l'on appelle la "falaise fiscale" (fiscal cliff), c'est à dire l'ensemble des mesures arrivant à échéance le 31 décembre 2012 (allègement dâ€impôts et de soutien au revenu de certains ménages). Une étude de Natixis recense ces mesures arrivant à expiration, leur coût actuel et la position de chacun des partis sur la prolongation ou l'abrogation de chaque mesure (source: "Elections américaines 2012 : Obama, Romney et la falaise budgétaire" - CIB Natixis #563).
1ère divergence entre Obama et Romney : la prolongation ou non du "Bush tax cuts", un ensemble de mesure adoptée sous la présidence de George W. Bush entre 2001 et 2003 (baisse du taux d'imposition, baisse des impôts sur les plus-values et les dividendes...). Barack Obama souhaite supprimer ces exonérations de taxes sur les hauts revenus ; Mitt Romney souhaite les maintenir. Débat classique gauche/droite sur la taxation des plus riches. En ce qui concerne la taxation des entreprises, Barack Obama désire baisser les impôts sur les petites entreprises en finançant cela par l'arrêt de certaines niches fiscales, alors que Mitt Romney frappe fort, avec un programme "pro-business", avec entre autre une diminution du taux fédéral de taxation des entreprises de 35% à 25% !
Petit aparté: cela ne vous rappelle pas quelqu'un ce "je vais couper les niches fiscales et diminuer les impôts sur les petites entreprises". Allez je vous le donne en mille (au passage, on a bien eu les coupes de niches fiscales, mais on attend toujours cette fameuse diminution des impôts sur les petites entreprises).
Programme de François Hollande - Proposition #3: [...] Je mettrai en place trois taux dâ€imposition différents sur les sociétés : 35% pour les grandes, 30% pour les petites et moyennes, 15% pour les très petites. Chiffrage du projet: "En dix ans la droite a accordé aux ménages les plus aisés et aux grandes entreprises plus de 50 milliards d'euros de cadeaux fiscaux qui ont creusé la dette et accru les inégalités sans aucun bénéfice pour la croissance et l'emploi. Pour rétablir les finances publiques, j'en annulerai 29 milliards d'euros, équitablement répartis entre les ménages et les entreprises."
Bref, revenons en à nos moutons. Au niveau des dépenses publiques, Mitt Romney aspire à une baisse des dépenses Fédérales à 20% du PIB au terme de son mandat, contre environ 24% actuellement. Soit une baisse impressionnante d'un point de dépenses publiques fédérales en moins par an (en supposant qu'il n'y ait pas de transfert de budget entre administrations publiques) ! Cela implique donc des coupes massives dans les dépenses non-essentielles, et donc une réduction de la taille de l'appareil étatique (baisse de 10% du nombre d'employés fédéraux, non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, alignement des salaires et bénéfices du public sur ceux du privé...). Mais en bon républicain, Mitt Romney épargne bien sûr le secteur de la défense, en annonçant même une hausse des dépenses militaires, avec un montant minimum de dépenses militaires égal à 4% du PIB (contre 2,3% du PIB en France).
D'un point de vue économique, le débat est donc assez proche de ce que l'on connaît en France, avec davantage de divergence entre les candidats et une forte "droitisation économique" de Romney. Mais là où cela devient rigolo, c'est en ce qui concerne l'environnement, la santé, la régulation de l'économie, les questions de société... Accrochez-vous bien ! Mitt Romney est donc:
- Pour l'élimination des réglementations mises en place par Obama sur les émissions de carbone
- Pour l'abrogation du système de santé mis en place par Obama
- Pour imposer des sanctions à la Chine pour manipulation de son taux de change
- Pour abroger la loi de réglementation bancaire Dodd-Franck et la remplacer par une réglementation simplifié
- Pour faciliter l'émission de permis d'extraction de gaz de schiste
- Pour faciliter l'attribution de licence pour construire de nouveaux réacteurs nucléaires
- Pour limiter le rôle des syndicats
- Contre l'avortement et le mariage gay
Vous en voulez encore ? L'excellente étude de Natixis résume en un tableau l'ensemble des propositions des deux candidats.
Barack Obama
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Mitt Romney
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Ménages |
- Prolongation des "bush tax cuts" pour les ménages dont les revenus sont inférieurs à 250K$.
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- Extension permanente des crédits dâ€impôt de lâ€administration Bush
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Entreprises |
- Baisse des impôts pour les petites entreprises. Baisse du taux effectif de taxation du secteur manufacturier à 25%.
-Introduction d'une taxe minimum sur les revenus réalisés à l'étranger pour favoriser l'investissement domestique
- Simplification du système de taxation. Clôture de certaines niches fiscales pour financer la réforme du système de taxation des entreprises.
- Extension du crédit dâ€impôt pour la recherche et lâ€expérimentation |
- Baisse du taux fédéral de taxation des entreprises de 35% à 25% et réforme du système de taxation.
- â€tax holliday†pour les profits réalisés par les entreprises à lâ€Ã©tranger.
- Extension dâ€un an des crédits dâ€impôts pour les investissements et du full expensing of capital expenditures.
- Extension permanente du crédit dâ€impôt pour la recherche et lâ€expérimentation |
Réforme budgétaire |
- Maintien d'un système de taxation territorial avec des modifications pour favoriser les entreprises localisées sur le territoire américain. |
- Transition vers un système de taxation territorial à la place du système actuel transnational
- Hausse des dépenses du secteur de la défense avec un montant minimum de 4% du PIB
- Objectif dâ€Ã©quilibrage du budget à moyen-terme
- Baisse des dépenses Fédérales à 20 % du PIB au terme du premier mandat et établir un plafond à ce niveau ensuite.
- Baisse immédiate de 5% des dépenses discrétionnaires hors défense
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Fiscall Cliff | - Eliminer les coupes de dépenses automatiques ("Sequestration") |
- Eliminer les coupes de dépenses automatiques ("Sequestration")
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Programmes mandataires |
- Pas de réforme majeure de la "Social Sécurity"
- Gel du taux de paiement des médecins participant au programme Medicare sur les niveaux de 2012
- Gel du taux de paiement des médecins participant au programme Medicare sur les niveaux de 2012 |
- Augmentation de lâ€Ã¢ge de départ à la retraite et modifier lâ€indexation à lâ€inflation des pensions
- Pas de hausse des taxes ni dâ€augmentation de la limite des revenus assujettis à la taxe pour financer la sécurité sociale.
- Pas de hausse des taxes ni dâ€augmentation de la limite des revenus assujettis à la taxe pour financer la sécurité sociale.
- Déléguer la gestion de Medicaid aux Etats en les subventionnant
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Dépenses publiques |
-Hausse des dépenses d'infrastructure pour réparer les routes et ponts. Obtenir le statut de mandataire pour les dépenses du département dédié aux infrastructures. Création d'une banque d'infrastructure
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Emploi public |
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- Aligner les salaires et benefits sur ceux du privé
- Baisse de 10% du nombre dâ€employés fédéraux
- Une embauche pour deux départs
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Environnement |
- Mise en place d'un système de type "cap and trade"
- Séries de mesures pour favoriser les logements et les bureaux qui permettent des économies d'énergie |
- Eliminer les réglementations mises en place par lâ€administration Obama sur les émissions de carbone
- Remanier le â€Clean Air Act†et le â€Clean Water Act†|
Reglementation bancaire | - Poursuite de la mise en place de la réforme Dodd-franck |
- Abroger la loi Dodd-Franck et la remplacer par une réglementation simplifiée
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Santé |
- Poursuite de la mise en place de la réforme de la santé avec une ouverture pour d'éventuelles modifications
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- Abroger la réforme de la santé mise en place par Obama |
Politique extérieure | - Entretien des relations économiques avec les principaux partenaires commerciaux. |
- Promouvoir des accords de libre-échange bilatéraux
- Création dâ€une zone économique de libre échange (Reagan Economic Zone) qui codifiera les principes du libre échange au niveau international
- Désigner la Chine comme manipulatrice de son taux de change et imposer des sanctions bilatérales et multilatérales
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Politique énergétique |
- Investir dans des sources alternatives pour réduire la dépendance du pays au pétrole
- Eliminer les crédits d'impôts pour les compagnies pétrolières et gazières
- Abroger le programme de recherche et développement de gisements offshore |
- Faciliter lâ€Ã©mission de permis dâ€extraction de matières premières et notamment du gaz de schiste
- Faciliter le processus dâ€attribution de licence pour construire de nouveaux réacteurs nucléaires
- Construction de pipelines et notamment du Keystone XL pipeline
- Rediriger les sommes actuellement allouées aux énergies renouvelables vers la recherche centrée sur les nouvelles technologies énergétiques.
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Immigration | - Mise en place du "Dream Act" |
- Augmentation du nombre de Visas pour favoriser lâ€immigration de travailleurs qualifiés
- Octroyer la carte de résidence permanente pour les étudiants étrangers qui obtiennent un diplôme dans une université américaine.
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Marché du travail | - Mise en place d'un fond pour favoriser le retour à l'emploi ("Pathways back to work fund") |
- Déléguer la mise en place des formations au niveau des Etats
- Limiter le rôle des syndicats
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Défense | - Retrait des troupes en Afghanistan en 2014 |
- Maintenir un présence militaire forte à l'étranger
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Question de société | - En faveur du mariage "gay" |
- Contre le mariage "gay"
- Contre l'avortement |
Une autre donnée importante concerne les élections au Sénat et à la Chambre des représentants (équivalent de l'Assemblée Nationale américaine). Le même jour que l'élection présidentielle, le vote des citoyens permettra le renouvellement du Congrès (un tiers du Sénat et tous les sièges de la Chambre des représentants). Actuellement, le Sénat est démocrate et la chambre des représentants est républicaine ; on dit donc que le Congrès est divisé. L'applicabilité de l'agenda de chacun des candidats dépend donc en grande partie du résultat des élections au Congrès. Natixis, encore et toujours, résume les différentes configurations possibles après les élections, en fonction des résultats au Congrès.
Conclusion: Voilà , vous avez désormais les clés en main pour comprendre l'élection américaine de mardi (dans 4 jours !). En France, selon un sondage du CSA, seulement 5% des personnes voteraient pour Mitt Romney ! Le Captain' non plus ne cache pas sa préférence pour Barack Obama, principalement pour éviter un retour dans l'Amérique de Bush symbolisé par le trio "guerre / pétrole / inégalités". Mais d'un point de vue économique, il ne faut pas sous-estimer certaines propositions de Mitt Romney, dont le programme basé sur une politique de l'offre et un fort ralentissement des politiques keynesiennes de dépenses publiques peut être intéressant pour la croissance à long terme et la réduction de l'endettement américain. Un article paru avant hier dans Business Insider explique d'ailleurs qu'une élection de Mitt Romney pourrait être un désastre pour le cours de l'or, car cela pourrait signifier un remplacement en 2014 de Ben "Helicopter" Bernanke par un nouveau président de la FED moins enclin aux Quantitative Easing (et donc une politique monétaire plus restrictive - source "A Romney Win Would Be A Disaster For Gold"). Ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose non plus !