En début de semaine, mardi 4 juin, la Commission Européenne a annoncé l'instauration de taxes sur les panneaux solaires chinois, et ce malgré les menaces de représailles de nos amis chinois. Et les menaces n'ont pas tardées à se faire sentir ; Pékin ayant annoncé hier l'ouverture d'une enquête (= d'une potentielle taxation) sur les importations de vin en provenance de l'Union européenne. Cette situation est ce que l'on appelle dans le jargon économique une "guerre commerciale" : un pays X instaure une taxe ou une restriction sur les importations en provenance d'un pays Y, et en représailles, le pays Y en fait de même sur un produit qu'il importe du pays X... A ce moment là , le pays X peut instaurer une nouvelle taxe sur un nouveau produit (pour se venger de la vengeance), puis idem pour le pays Y qui souhaite alors "se venger de la vengeance de la vengeance". Le genre de petit jeu qui peut sur le papier durer un bon petit bout de temps.
Mais pourquoi la Commission Européenne a t-elle décidé de s'attaquer aux panneaux solaires chinoises ? Pour ne pas déformer les arguments de la Commission, voici l'explication officielle (source : "EU imposes provisional anti-dumping tariffs on Chinese solar panels' - European Commission). "Cette décision intervient après neuf mois dâ€une enquête, ouverte en septembre 2012 (MEMO/12/647), qui a permis à la Commission de constater que certaines sociétés chinoises vendaient des panneaux solaires en Europe à des prix nettement inférieurs à leur valeur marchande normale, au détriment des fabricants de panneaux solaires de lâ€Union européenne. À leur juste valeur, les panneaux solaires chinois devraient être vendus en Europe à un prix supérieur de 88 % à celui facturé en réalité. Les produits exportés par la Chine et vendus à des prix de dumping ont exercé abusivement des pressions sur les prix sur le marché de lâ€Union, portant ainsi gravement préjudice à la situation financière et aux performances opérationnelles des producteurs européens".
Concrètement, cela va se traduire par la mise en place de droits antidumping provisoires, au taux de 11,8% durant les deux premiers mois sur les importations de panneaux solaires, de cellules et de wafers en provenance de la Chine (donc jusqu'au 6 août), puis au taux de 47,6% après cette date (pour une durée de 4 mois). Ensuite, le 5 décembre 2013 au plus tard, l'Union se prononcera, si aucun accord n'a été signé entre la Chine et l'UE, sur la mise en place de droits antidumping définitifs pour une période de 5 ans.
Le Captain', en tant que professeur d'Economie Internationale en Licence II, est comme vous pouvez vous en doutez plutôt un partisan du libre-échange. Le libre-échange permet en effet, dans un monde théorique où "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil", d'améliorer le bien-être de tous. Alors vous allez peut-être pensez que le Captain' s'offusque, comme Angela Merkel et d'autres pays européens, de la mise en place de cette restriction commerciale ? Et bien non, le Captain' soutient totalement la décision de la Commission (ça lui fait une belle jambe à la Commission, je vous l'accorde...) et s'en va vous expliquer pourquoi.
Tout d'abord, il est très important de distinguer la situation actuelle avec une situation imaginaire de mise en place d'une barrière tarifaire "ad valorem" (1) sur un produit d'un secteur en déclin (2) où le pays n'a pas d'avantage comparatif et (3) où la concurrence est loyale, dans le seul but de sauver des emplois dans ce secteur. Dans ce cas de figure, il n'y a absolument aucune raison de mettre en place une taxe "ad valorem" (barrière douanière classique, en pourcentage du prix du produit), car cela aurait simplement comme conséquence une hausse du prix pour le consommateur, une perte de pouvoir d'achat qui se répercuterait sur l'ensemble des autres industries du pays, et un sauvetage des emplois uniquement provisoire car le secteur est en déclin ou bien que le pays ne pourra jamais avoir un avantage comparatif (par exemple en France si le produit en question demande une abondance en main d'oeuvre peu qualifiée).
Ici, ce n'est pas une taxe "ad valorem" sur un produit d'un secteur en déclin sans avantage comparatif (ni potentiel, ni réel) et avec concurrence loyale qui est mise en place (exemple : textile bas de gamme), mais un droit antidumping, sur un secteur à fort potentiel et important (indépendance énergétique), pour éviter un monopole étranger en protégeant des industries naissantes (potentielles économies d'échelle) et dans le but de rétablir une concurrence loyale. Avouer qu'il existe tout de même quelques différences ...
D'un point de vue de la théorie économique, la décision de la Commission peut donc parfaitement se justifier, contrairement à un protectionnisme standard "on taxe tous les produits en provenance de Chine pour stopper l'invasion". Les Etats-Unis avaient d'ailleurs adopté une mesure similaire en octobre 2012, en mettant en place des droits antidumping sur les importations de panneaux solaires chinois, avec un taux allant de 24% à 36% (source : "U.S. Will Place Tariffs on Chinese Solar Panels" - NY Times).
Mais pourquoi alors certains pays européens (à priori même la majorité des pays, sur 21 pays de l'Union contactés par Reuters hier, seulement 6 soutiennent la Commission), s'opposent à cette mesure, alors que par exemple aux USA la mesure avaient été votée à l'unanimité (6 voix pour - 0 contre à l'US International Trade Commission) ? Car comme toujours, les vieux démons européens ressortent. Une zone totalement hétérogène où chacun réfléchit à ses avantages personnels à court-terme plutôt que de penser à l'Union dans son ensemble à long-terme. Une zone qui, car elle n'a aucune unité politique, a peur des représailles possibles de ses "partenaires" commerciaux. Une zone qui n'assume pas sa puissance, et qui à force de vouloir être honnête avec tout le monde, se retrouve en position défavorable dans le processus de mondialisation alors qu'elle a pourtant sur le papier toutes les cartes en main.
Je vous accorde totalement le fait qu'une guerre commerciale avec la Chine, si elle s'étend à de nombreux autres produits, aurait des conséquences désastreuses pour l'Union Européenne. Je vous concède aussi que cette mesure ne va pas sauver l'industrie française, et que les effets sont assez incertains. Mais de l'autre côté, les conséquences d'une guerre commerciale seraient aussi désastreuses pour la Chine, qui ne peut pas se permettre de voir sa croissance diminuer fortement (avec les risques de mouvements de contestations internes qui en découlent) en se privant d'une zone d'exportation immense. C'est un jeu de poker menteur qui commence donc ; aucune zone n'a intérêt à ce que cela aille trop loin, mais aucune zone ne peut montrer sa faiblesse, au risque de se faire "exploiter" par la suite...
Mais malheureusement, nos amis chinois sont très forts au poker menteur ! La preuve, la première cible de potentielles représailles commerciales est le vin en provenance de l'UE. Pourquoi le vin et non pas la bière ? Car en touchant le vin, la Chine s'attaque quasi-directement à la France qui est le premier supporter de la mise en place de ce droit antidumping. En touchant directement l'économie française et un secteur historique, la Chine espère fragiliser la position du gouvernement français pour obtenir plus facilement des concessions.
C'est d'ailleurs intéressant de voir que les guerres commerciales ont toujours un angle davantage politique qu'économique : le but principal n'est pas de toucher l'économie du pays, mais de mettre dans une situation difficile les décideurs politiques. Un exemple flagrant de cela est le conflit entre les Etats-Unis et l'Union Européenne au début des années 2000. Pour répondre à la mise en place d'une taxe sur l'acier par Georges W. Bush, l'Union Européenne avait menacé de taxer en représailles ... les oranges de Floride. Pourquoi ? Car le gouverneur de Floride à l'époque n'était autre que Jeb Bush, le frère de "W", et que la Floride est considéré comme un état "bascule" (un "swing state"), c'est à dire un état où les résultats pour les élections sont extrêmement serrés et donc très important étant donné le mode de scrutin sur le principe des grands électeurs aux USA. Souvenez vous de l'élection Al Gore VS Georges W. Bush en 2000, et le recomptage des voix (+ soupçons de fraude) sur l'Etat de Floride, pour une victoire décisive de W. Bush grâce à seulement 1500 voix !
Conclusion : Même s'il faut espérer que cette affaire se solde finalement par un accord entre l'UE et la Chine pour mettre fin en partie à ce conflit avec des concessions de chaque côté, il est important que l'Europe s'affirme comme une réelle puissance unie et un acteur majeur du commerce international mondial. C'est d'ailleurs le souhait de la Commission, qui, je cite "réaffirme quâ€elle est prête à participer à une réunion du comité mixte UE-Chine dans les prochaines semaines, à une date fixée dâ€un commun accord, afin de discuter dâ€une manière constructive de tous les aspects de nos relations commerciales, dans le respect de nos engagements communs pris dans le cadre de lâ€OMC et dans lâ€esprit de notre partenariat stratégique." ! Mais au jeu de poker menteur, la Chine est actuellement, politiquement et économiquement, dans une meilleure situation que l'UE, et il y a malheureusement fort à parier (j'espère me tromper) que la Chine remporte ce nouveau bras de fer ! Allez, un peu de courage !