A moins de trois mois du 1er tour des élections présidentielles en France, le thème du protectionnisme fait rage au sein de la classe politique française. Que lâon utilise le mot « démondialisation » comme Arnaud Montebourg, la formule « made in France » pour François Bayrou, « la TVA sociale » pour Nicolas Sarkozy ou bien encore la « taxe à lâimportation » comme Marine Le Pen, le fond du problème est le même. Faut-il protéger la France des échanges internationaux, et si oui dans quelles mesures et de quelles manières?
Si lâ€on devait commencer cette histoire comme un conte, cela pourrait commencer de la manière suivante. Il était une fois un monde de croissance économique, un monde où le libre-échange semblait permettre dâ€améliorer le bien-être de lâ€ensemble de la société, comme lâ€expliquait David Ricardo en 1817 dans son traité « Des principes de l'économie politique et de l'impôt ». Le protectionnisme ? Plus jamais ! La Grande Dépression des années 30 a ancré dans la conscience collective les dangers du protectionnisme (à tort ou à raison voir ici)
Au fil du temps, avec la signature de lâ€accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT - 1947), remplacé par lâ€Organisation Mondiale du Commerce (OMC - 1995), la mondialisation devient la norme. Les barrières douanières sont abaissées, des zones de libre-échange créées et un consensus général donne au libre-échange un rôle prépondérant dans le développement de la croissance mondiale. Mais comme dans tout conte, un méchant doit faire son apparition à un moment de lâ€histoire. En économie, le méchant nâ€a quâ€un seul nom, « la crise ». Exacerbée par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, la crise financière se propage petit à petit à lâ€Ã©conomie réelle. Et comme le souligne très justement le Professeur Jean-Marc Siroën « les crises économiques ont toujours eu pour conséquence de raviver les tensions protectionnistes ».
Une du journal "The Economist" du 7 Février 2009
Si lâ€on se base du point de vue de la théorie économique, il y a, lors de lâ€instauration de mesures protectionnistes, une perte sèche pour lâ€Ã©conomie dâ€un pays. En effet, la perte de surplus du consommateur, due à lâ€augmentation des prix, est supérieure aux gains combinés de lâ€Etat (recettes douanières) et des producteurs (surplus du producteur).
Mais selon un sondage réalisé en juin 2011, 65% des français seraient favorables à une augmentation des taxes sur les produits importés des pays émergents. Il y a cependant un point qui nâ€est souvent pas abordé lorsque lâ€on parle de lâ€instauration de barrières douanières : qui va payer la taxe ? Il est totalement faux de croire que la taxe va être payée par les producteurs étrangers. La taxe, câ€est au final le consommateur qui va la payer, en voyant ainsi son pouvoir dâ€achat diminuer. Le Professeur Jean-Marie Harribey dans une tribune sur la TVA sociale sur Alternatives-Economiques explique que « si on met une taxe sur les vaches, ce ne sont pas les vaches qui la paieront » et que plus sérieusement « le travail paie toujours tout, puisque câ€est de son emploi que naît toute valeur économique ajoutée».
Il est aussi faux de croire que la mise en place de mesures protectionnistes permettrait de sauvegarder lâ€emploi sur le long terme. Sur ce point, les médias se font pourtant le plaisir de parler des entreprises qui délocalisent et des destructions de postes engendrées. Il y a bien sûr une destruction de certains postes, mais il faudrait aussi parler du principe de la destruction créatrice, mis en avant par Joseph Schumpeter. La disparition de secteur dâ€activité se fait conjointement à la création de nouveaux secteurs. Le problème est que les disparitions de secteurs sont brusques, entrainant le licenciement en un seul instant de plusieurs centaines de salariés, tandis que les créations conjointes sont plus diffuses, dans le temps et dans lâ€espace, et donc beaucoup plus difficiles à comptabiliser.
Il nâ€existe donc malheureusement pas de solution miracle ; si lâ€on taxe les exportations pour protéger nos emplois, cela risque fort dâ€entrainer des mesures de rétorsion de la part des autres pays, qui vont à leur tour taxer les produits en provenance de France. Résultat : en voulant sauvegarder lâ€emploi dans des secteurs en déclin, la future baisse des exportations (due à la hausse des barrières douanières des autres pays envers la France) risque de détruire ou dâ€empêcher des créations d'emploi dans des secteurs où un réel avantage comparatif existe.
Faut-il donc à nâ€importe quel prix défendre lâ€industrie française, qui ne représente que 17% de la valeur ajoutée du PIB et 13% des emplois ? Est-ce à la France de produire des vêtements bas de gamme ou bien dâ€extraire du charbon des mines de Lorraine ? Ou au contraire, via un processus de création schumpetérienne, ne devrait t-on pas, comme les échanges internationaux nous pousse à le faire, nous reconvertir dans lâ€industrie à forte valeur ajoutée et les services ? Je pense que vous aurez compris vers quelle solution je mâ€oriente.
Conclusion: Cela ne veut pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et quâ€il nâ€y a rien à changer. Il y a des pistes de réflexion concernant par exemple (1) la non-réciprocité des concessions consenties, (2) les échanges avec les pays manipulant leur taux de change ou bien encore (3) le problème des externalités négatives (pollution par exemple). Les mesures modérées que sont la TVA sociale et la préférence pour le Made in France peuvent avoir certains effets positifs, selon la manière dont ces mesures seraient appliquées. Mais attention à ne pas tomber dans le piège du protectionnisme pur et dur, qui nâ€améliorera en rien sur le long terme le bien-être de la société française.