Le problème du choix optimal des tranches et des taux d'imposition est une question centrale de la politique fiscale d'un pays. Il existe plusieurs techniques pour déterminer ces niveaux: (1) la méthode François Hollande, qui consiste à annoncer du jour au lendemain l'instauration d'une nouvelle tranche à 75% sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros, dans un but électoral et sans vraiment réfléchir aux conséquences, ou (2) la méthode Diamond & Saez, du nom de 2 professeurs de prestigieuses universités (MIT & Berkeley), qui consiste à maximiser le bien-être total de la société, sous contraintes budgétaires et en prenant en compte les réponses et actions des individus. Je ne sais pas pourquoi, mais le Captain' va opter pour la seconde option...
En économie, l'utilité marginale est une mesure du bien-être obtenu par un individu lors de la consommation d'une unité supplémentaire d'un bien ou service. D'un point de vue de l'utilité marginale, un euro de plus dans la poche d'un pauvre a une valeur plus grande qu'un euro de plus dans la poche d'un riche. Pourquoi? Car la monnaie a une utilité marginale décroissante, ce qui s'explique facilement par un exemple. Si vous gagnez 1.000 euros par mois, 100 euros de plus amélioreront fortement votre bien-être (= votre utilité). Par contre si votre revenu est de deux millions d'euros par mois, les 100 euros de plus ne changeront quasiment rien à votre bien-être.
"Donc d'un point de vue de la maximisation du bien-être de la société, il faudrait donc reverser les revenus des riches vers les pauvres, pour que in fine, tout le monde ait le même salaire ?" Et bien non, car c'est à ce moment là qu'il faut considérer le comportement des individus, à savoir le risque d'exode fiscal et de baisse des incitations à travailler. En effet, pourquoi travailler et gagner beaucoup d'argent si c'est pour que son revenu soit entièrement redistribué à des inactifs ?
Supposons un pays avec 4 individus (toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite) : Philippe P. et Arlette L. gagnent 1.000 euros par mois, Anne L. gagne 50.000 euros par mois et Liliane B. la modique somme de 1 million d'euros. D'un point de vue de la maximisation du bien-être général, il faudrait taxer Liliane au maximum, pour redistribuer son revenu vers les trois autres individus, de telle sorte à ce qu'à la fin, nos 4 individus aient le même salaire, à savoir ici 263.000 euros. Ceci toujours car l'utilité marginale de la monnaie est décroissante; un euro dans la poche de Liliane ayant moins d'utilité qu'un euro dans la poche des autres individus.
Mais si suite à cette nouvelle taxe, Liliane s'en va en Suisse ou bien, plus difficile à estimer, si elle décide simplement de moins travailler, l'instauration d'un fort impôt va diminuer le bien-être général. C'est un peu toujours cette même histoire de gâteau: dans cette société, le bien-être général est maximisé si chacun à la même part du gros gâteau initial. Mais si la taille du gâteau diminue, voire même si le gâteau disparaît, vous avez beau le partager équitablement, il ne reste plus que quelques miettes pour chacun.
Dans l'étude "The Case for a Progressive Tax: From Basic Research to Policy Recommendations", Diamond & Saez ont modélisé les différents effets d'une hausse de l'imposition sur les plus riches aux USA. L'étude est un peu complexe pour être expliquée en quelques lignes, mais le graphique ci-dessous montre assez clairement comment est fait ce modèle. Sur ce graphique, on suppose un taux d'imposition initial, pour les revenus au dessus de z* (ligne noire pleine). On augmente ensuite le taux d'imposition sur les plus riches, pour obtenir la ligne noire en pointillés "Mechanical Tax Increase". On voit bien ici que le revenu disponible diminue ("disposable income", c'est à dire le revenu net après impôt) pour un revenu avant taxe donné ("pre-tax income"). Mais il faut aussi prendre en compte la réponse des riches (exode ou moins d'incitation à travailler), qui est modélisée ici par la flèche grise sur l'axe des abscisses, montrant une baisse du "pre-tax income" total via le "behavioral response tax loss".
Comme dans nombreux problèmes économiques, on obtient alors l'équilibre lorsque le gain marginal via l'augmentation du taux d'imposition sans réponse comportementale est égal à la perte marginale due à la réponse des agents.
Les recommandations de cette étude sont au nombre de trois: (1) il faut augmenter le taux marginal d'imposition sur les plus riches aux USA, (2) les transferts vers les plus pauvres doivent inclure des aides pour ceux qui travaillent et gagnent peu, et non pas uniquement pour les chômeurs ou sans activité, afin d'éviter un aléa moral du type "je reste au chômage parce que je gagne plus au chômage qu'en travaillant" et (3) il faut taxer les revenus du capital.
Paul Krugman avait parlé de cet article il y a quelques mois sur son blog du NY Times ("Taxing Job Creators"), dont voici un petit extrait:
"OK, I hear loud screams from the right side of the room. Parsing those screams, I hear the following arguments:
1. Theft! Tyranny! OK, I hear you. This canâ€t be argued on rational grounds; I think there are a lot more important moral issues in the world than defending the right of the rich to keep their money, but whatever.
2. Theyâ€ll go Galt! This amounts to saying that D&Sâ€s estimate of the â€behavioral elasticity†is too low. Maybe, but theyâ€re pretty careful about that, and your gut isnâ€t better than their econometrics.
3. Youâ€ll kill job creation! This is where it gets interesting."
Conclusion: Diamond & Saez, les deux auteurs de ce papier, ont réalisé de nombreuses études avec un certain Thomas Piketty, économiste français proche du PS et signataire il y a quelques semaines de la tribune "Nous, économistes, soutenons Hollande". Le Captain' est pour une augmentation du taux d'imposition des plus riches, si cela est fait en connaissance de cause et après de réelles modélisations. Mais la proposition de François Hollande d'un taux à 75% semble davantage démagogique que réalisée dans un but d'optimisation de l'utilité. J'aurais préféré, à titre personnel, que François Hollande s'inspire davantage du programme de "révolution fiscale de Thomas Piketty" que je vous présenterai en détail demain.