Lorsque le concept compétitivité est évoqué, la première chose qui peut venir à l'esprit est "le salaire". Un pays serait compétitif lorsque les salaires sont bas, et inversement peu compétitif lorsque les salaires sont trop élevés. Mais ce raisonnement est beaucoup trop simpliste ! En effet, le concept de compétitivité est relié à deux autres paramètres indissociables que sont la productivité horaire du travail et le nombre d'heures travaillées. De plus, il est important de bien définir ce que l'on entend par "salaire". Dans le cas du calcul du coût salarial unitaire qui sert à estimer la compétitivité, le "salaire" que l'on considère est le salaire brut (salaire net + cotisations sociales à la charge de l'employé) auquel on ajoute les charges patronales.
Prenons un exemple. Supposons un pays A où le salaire moyen d'un employé est de 1500 euros net par mois, et un pays B où le salaire moyen d'un employé est de 2500 euros par mois ? Dans quel pays allez-vous installer votre entreprise ? Attentiooooooooon, il y a un piège ! Il est en effet impossible de répondre à cette question sans davantage de précision sur, au minimum, (1) la productivité horaire des employés de chaque pays, (2) le nombre d'heures travaillées par les employés de chaque pays et (3) les différentes charges existantes sur le travail. Si dans le pays A les employés sont des bras cassés (faible productivité) travaillant 20h par mois et que dans ce pays le gouvernement taxe le travail comme un malade, vous pouvez alors sûrement reconsidérer votre choix... Pour donner une définition précise (source : OCDE) "Les coûts unitaires de la main d'Åuvre mesurent le coût moyen de la main d'Åuvre par unité produite. Ils sont égaux au ratio entre les coûts totaux de la main d'Åuvre et la production en volume ou de façon équivalente, au ratio entre les coûts moyens de la main d'oeuvre par heure travaillée et la productivité du travail (production horaire)."
Dans un rapport publié fin juillet 2013 (source : "EURO AREA POLICIES - 2013 ARTICLE IV CONSULTATION"), le FMI présente un graphique très intéressants à propos de l'évolution du coût salarial unitaire (CSU) dans les pays de la zone euro sur la période 2000-2012 ("Unit Labour Cost" / ULC sur le graphique ci-dessous). Pour que le CSU diminue, il faut que la productivité augmente plus vite que le coût horaire du travail. Sur le graphique suivant, il est possible de bien comprendre cette relation en s'intéressant à la différence entre la France en l'Allemagne sur la période 1991-2008. Attention, on parle ici uniquement d'évolution de la compétitivité (gain ou perte de compétitivité par rapport à une base 100 commune en 1990) et non pas de "niveau de compétitivité". En France, les salaires ont augmenté en moyenne au même rythme que la productivité (voir les deux courbes rouges croissantes), résultant en un CSU à peu près stable depuis 1991 (en légère augmentation depuis 2000). En Allemagne, la productivité a augmenté au même rythme environ qu'en France, mais le coût réel du travail a diminué à partir du début des années 2000 avec les réformes Hartz, d'où une forte baisse du CSU depuis une dizaine d'années.
Si l'on regarde l'ensemble des pays de la zone, en séparant l'évolution du CSU sur la période 2000-2007 (point noir sur le graphique ci-dessous) puis sur la période 2008-2012, on peut voir de nombreuses choses très intéressantes permettant d'expliquer en partie la crise actuelle. Sur la période 2000-2007, l'Allemagne et l'Autriche sont les deux seuls pays de notre échantillon a avoir connu une baisse du CSU (point "noir" en dessous de 0 - "Change in ULC 2000-07), et "comme par hasard", ces deux pays font partie des 4 pays de la zone ayant toujours le fameux AAA (en compagnie de la Finlande et des Pays-Bas) . A l'inverse, les pays actuellement en difficulté de la zone euro (Portugal, Irlande, Italie, Grèce, Espagne - les fameux PIIGS) ont tous connu une forte hausse du CSU sur la période 2000-2007 (+15% en Irlande, +11% en Grèce...).
Mais que s'est-il passé depuis 2007 ? La distance entre le point noir et le trait noir représente l'évolution entre début 2008 et fin 2012 du coût salarial unitaire dans chacun des pays. Il est intéressant de voir que le CSU a fortement diminué dans les pays en difficulté de la zone, à la fois via une hausse de la productivité (en Espagne par exemple) ou via un gel voire une diminution des salaires (en Grèce surtout). Attention, la baisse du CSU n'est pas nécessairement une bonne nouvelle, surtout via les effets récessifs de la dévaluation interne dans un pays comme la Grèce. Mais c'est tout de même le signe d'un regain de compétitivité important pour le futur de ces pays. En France, le CSU a augmenté via la hausse du salaire réel horaire (hausse du SMIC légèrement supérieure à l'inflation par exemple + hausse des charges sociales), bien que la hausse du CSU ait été compensée par des gains en productivité.
Mais attention, ce qui est important n'est pas uniquement l'évolution du CSU (bien que cela donne une indication d'amélioration ou de détérioration de compétitivité), mais bien le CSU en niveau ! Pour le dire autrement, c'est intéressant de voir que l'Allemagne a gagné en compétitivité et que l'Italie a perdu en compétitivité depuis 2000, mais ce que cherche à savoir un investisseur / entrepreneur n'est pas "qui a gagné ou perdu", mais "dans quel pays le CSU est actuellement le plus faible" (en niveau donc).
Une étude de Natixis publiée au début de l'année (source : "Compétitivité-coût des pays de la zone euro : situation initiale à la création de lâ€euro, dynamique ultérieure, existence ou non de forces de rappel") donne de nombreuses indications à ce sujet. Selon cette étude, les pays les plus compétitifs (en niveau, et non pas en variation) sont actuellement le Portugal, la Grèce et l'Espagne (et ce en prenant en compte le salaire horaire ET la productivité). Selon Patrick Artus (auteur de l'étude de Natixis) "la situation de compétitivité (surévaluation réelle et absence de force de rappel) parait particulièrement inquiétante, compte tenu du niveau de gamme de la production, en France, en Belgique et de manière peut-être surprenante en Finlande". Bon, encore raté pour les petits frenchys :(
Conclusion : Le CSU permet d'estimer la compétitivité-coût (et indirectement la compétitivité-prix) d'un pays. Il ne faut pas oublier que le prix ne fait pas tout, et qu'il est important de s'intéresser aussi à la compétitivité hors-prix (avantage comparatif d'un produit en dehors du prix, comme par exemple l'image de marque, l'innovation, la qualité des produits, le niveau de gamme....). En une dizaine d'années, en "profitant" des avantages de la monnaie unique et en partie au détriment des autres pays de la zone, l'Allemagne a su à la fois améliorer sa compétitivité prix et sa compétitivité hors-prix (la fameuse "qualité allemande"), pour passer d'un pays en crise il y a dizaine d'années au leader économique actuel de la zone. Pour rappel, c'est en 2003 que le Pacte de Stabilité Européen (déficit maximum de 3% et dette max de 60% du PIB) a été violé pour la 1ère fois, et il l'a été par ... l'Allemagne (lire 10 ans après un article comme "L'Allemagne devrait une nouvelle fois enfreindre le pacte de stabilité" montre comme les choses peuvent évoluer rapidement).