Depuis quelques jours, c'est la panique générale en Espagne. Le journal "Les Echos" en fait d'ailleurs sa Une aujourd'hui : "L'Espagne fait souffler un vent de panique sur les marchés". Hier en effet, la bourse de Madrid chutait à mi-séance de 6% (avant de se reprendre pour finir à -1,1%). L'euro est au plus bas, de retour à son niveau de juin 2011 et de début 2006 (1 euro = 1,21 dollar). Les taux espagnols s'envolent littéralement: aujourd'hui, le taux à 10 ans sur le marché secondaire est encore en hausse, pour atteindre 7,57%. Mais il existe un autre phénomène dont vous n'avez probablement pas entendu parler: l'inversion de la courbe de taux.
La courbe de taux donne le taux d'intérêt effectif d'une obligation en fonction de sa maturité (la théorie par ici, avec l'article "La courbe de taux : Une introduction"). L'excellentissime Olivier Berruyer, créateur du blog "Les-crises.fr" et invité régulier de l'émission "Les Experts" sur BFM TV avait publié en septembre 2011 un article très intéressant sur l'évolution de la courbe de taux dans les pays de la zone euro. Voici donc la situation en septembre 2011.
Cette courbe montre donc les taux (en ordonné) auxquels les différents pays de la zone empruntaient alors à cette époque, en fonction de la maturité (en abscisse). Dans le cas classique, la courbe des taux est croissante et concave; c'est à dire que le taux auquel un pays emprunte sur le court terme est inférieur au taux auquel il emprunte sur le long terme. Ceci étant dû à la préférence naturelle des investisseurs pour la liquidité et donc pour les instruments de taux à court terme. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, la courbe de taux est bien croissante et concave aux USA, en France, en Allemagne, aux Royaume-Uni, en Italie et en Espagne (à l'époque, en septembre 2011). Par contre la courbe de taux était décroissante dans 2 pays, en Grèce et au Portugal, et "flat" en Irlande.
Et quel est le point commun entre la Grèce, le Portugal et l'Irlande? Et bien ce sont les trois pays de la zone à avoir reçu un plan de sauvetage (en échange du contrôle de la troïka). Autant dire qu'avoir une courbe de taux décroissante ou plate ne laisse pas présager d'un avenir radieux pour un pays... Cela signifie en effet que les investisseurs pensent que la probabilité à court terme d'un défaut augmente ou que la situation va empirer dans les mois à venir.
Et bien c'est malheureusement ce que l'on est en train de voir en Espagne depuis quelques jours: les taux à court et moyen terme sont en train de s'envoler, pour rejoindre les taux à 10 ans. La courbe de taux espagnole est donc en train de s'aplatir, pour prendre la forme de celle des pays ayant eu besoin d'un plan d'aide. La mise sous tutelle de l'Espagne semble de plus en plus inévitable (et non pas une aide uniquement au secteur bancaire comme celle accordée il y a quelques semaines).
Le Captain' n'ayant malheureusement pas accès à Bloomberg pendant les vacances, je vais vous montrer cela de manière un peu artisanale. En mars 2012, le taux à 3 ans des obligations espagnoles était de 3%, celui des obligations à 10 ans autour de 5%, et celui des obligations à 30 ans de 5,5%. La courbe était donc croissante, le taux à 3 ans étant bien inférieur au taux à 10 ans (comme sur le graphique ci-dessus). Mais aujourd'hui, mardi 24 juillet, le taux à 3 ans est de 7,4%, celui à 10 ans de 7,57% et celui à 30 ans de 7,52%. La courbe de taux espagnole est donc plate sur la partie 3-30 ans !
La hausse de taux à court terme depuis deux semaines est impressionnante. Le 11 juillet, le taux à 3 ans était de 5,5%. En moins de 15 jours donc, les taux à court terme ont augmenté de près de 2 points. Je ne vais pas vous refaire tout le discours pour montrer pourquoi une telle situation est insoutenable pour un pays, mais c'est assez simple: hausse des taux = hausse de la charge d'intérêt de la dette = hausse du déficit = hausse de la dette (et on refait le tour). C'est d'ailleurs lorsque les taux sont trop forts qu'un pays a besoin d'un plan d'aide extérieur, afin de ne plus se financer sur les marchés financiers mais auprès d'une institution (type MES, FMI...) à un taux inférieur mais en étant soumis au contrôle/diktat/conseil de cette institution.
Taux espagnol à 3 ans - Source Bloomberg
Conclusion: En Italie, la courbe de taux est encore légèrement croissante (5,4% à 3 ans contre 6,3% à 10 ans). Mais bon c'est pas non plus terrible terrible! Les investisseurs se reportant sur les pays encore considérés comme "relativement solides" par les marchés (encore AAA ou AA+, ce qui a en plus des implications d'un point de vue réglementation), la France emprunte actuellement à un taux historiquement bas (et même négatif sur le très court terme). A 3 ans, la France emprunte à 0,5%, contre 2,23% à 10 ans. Avec la même échelle, la comparaison entre la situation espagnole et la situation française est impressionnante.
Taux français à 3 ans - Source Bloomberg