L'inflation est utilisée comme base pour la revalorisation de nombreux contrats. L'idée sous-jacente est de se dire qu'une personne ayant un revenu indexé sur l'inflation a par définition un pouvoir d'achat stable dans le temps. Par exemple en France, le montant des retraites est indexé sur l'inflation. Idem pour le livret A, donc le taux dépend du niveau de l'inflation. Il est donc indispensable que le chiffre de l'inflation publié par l'INSEE soit fiable et représentatif de la réalité.
L'Indice des Prix à la Consommation Harmonisé (IPCH), servant à calculer l'inflation, est parfois critiqué pour son "décalage" par rapport à la réalité. En ligne de mire: la sous-pondération de certains postes de dépenses au sein de l'indice (loyer, énergie, fruits et légumes...). Si vous faites un sondage dans la rue sur l'inflation "perçue" par les français, il y a de fortes chances que celle-ci soit bien supérieure à celle annoncée par l'INSEE. Mais alors, l'INSEE truque t-il ses chiffres ?
C'est là qu'intervient la théorie de l'inflation perçue. Développée par Hans Wolgang Brachinger, cette théorie montre que c'est la fréquence d'achat d'un bien qui importe le plus pour le consommateur, et non pas le poids de ce bien dans le panier total. Par exemple, supposons que vous dépensiez 1000 euros par mois, et qu'en moyenne vous achetiez pour 50 euros de fruits et légumes. Si le prix des fruits et légumes augmentent de 10%, et que tous les autres prix restent constants, alors l'inflation INSEE sera donc égale à 0,5% (car 5% de votre panier total aura subi une augmentation de 10%)..
Mais en tant que consommateur, l'inflation perçue sera supérieure à l'inflation observée, calculée en fonction du poids de chacun des postes de dépenses dans votre panier total. En effet, étant donné que vous achetez des fruits et légumes 3 fois par semaine, vous serez alors choqué par cette hausse.
Et il y a en France depuis l'introduction de l'euro une très forte différence entre l'inflation perçue et l'inflation observée. Une étude de la Banque de France (source: Mesures et perception de lâ€inflation en France et dans la zone euro, Chauvin & Le Bihan, 2007) montre cela. L'inflation perçue est calculée en prenant en compte le solde d'opinion de l'enquête communautaire auprès des ménages sur l'évolution passée des prix. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, alors que sur la période 1991-2001, il existait une forte corrélation entre l'inflation observée et l'inflation perçue, on remarque un fort décalage depuis le début des années 2000.
Le décalage est principalement dû aux différences entre pondérations observées et pondérations perçues. Un exemple flagrant: selon l'INSEE, le poste de dépenses de consommation "loyer" représente 8% du total des dépenses de consommation, contre 38% perçu par les ménages ! Le tableau ci-dessous, issu de l'étude de la banque de France, montre les fortes distorsions entre "réalité enregistrée par l'INSEE" et "perception des ménages".
Toujours selon la Banque de France, "Dans leur perception de lâ€inflation, les ménages surpondèreraient essentiellement les loyers ; ils négligeraient environ 40 % de leurs dépenses dans leur évaluation de lâ€inflation".
Mais comment est-ce possible que le loyer ne représente que 8% des dépenses de consommation des ménages ? Selon les derniers chiffres de l'INSEE, ce ne serait même plus que 7% des dépenses. Un petit copié-collé pour avoir l'explication de l'INSEE (source: Quelle est la part du loyer dans l'IPC ?)
"La part des loyers dans lâ€indice mensuel des prix à la consommation est de 7 %. Câ€est la part de ces dépenses dans la consommation des ménages en 2009. Il sâ€agit dâ€un taux moyen calculé pour lâ€ensemble des ménages, locataires ou propriétaires. Par contre, lâ€indice mensuel des prix à la consommation ne retient pas les remboursements des emprunts liés à lâ€achat dâ€un logement, du fait quâ€ils relèvent dâ€opérations financières. Il ne retient pas non plus lâ€acquisition dâ€un logement qui est considéré comme un placement financier."
Le Captain' n'a pas de quoi vérifier précisément qu'en prenant en compte l'ensemble des dépenses de consommation des ménages en France, le versement effectif de loyer ne représente que 7% du total des dépenses... Mais bon, faisons un calcul à la louche. En France, 58% des ménages sont propriétaires, donc pas de loyer. Sur les 42% de ménages locataires, cela signifie donc que pour être en accord avec les chiffres INSEE, le loyer pèserait pour environ 17% des dépenses de consommation des ménages locataires (0,42 * 0,17 = 7%).
Si l'on considère le poids du logement, c'est à dire du loyer (pour les locataires) auquel est ajouté toutes les charges et frais (eau, électricité, fioul...), alors le logement (et non pas le loyer, je répète), pèse pour 25% dans le budget des ménages locataires (contre 10% pour les propriétaires dégagés des crédits d'achats). Donc 17% des dépenses uniquement le loyer chez les locataires, on retombe à peu près sur nos pattes...
Conclusion: La hausse du prix des matières premières depuis la début du siècle a entraîné une forte distorsion entre l'inflation perçue et l'inflation observée. C'est facile d'accuser l'euro ou bien de dire que l'INSEE truque ses chiffres, mais l'explication est beaucoup plus simple: les principaux produits touchés par la hausse des prix sont des produits à forte fréquence d'achat, donc l'inflation perçue est bien supérieure à l'inflation observée. Désolé Monsieur Dupont-Aignant !