Une tribune de Michel Rocard (ancien premier ministre) et Pierre Larrouturou (économiste) fait le buzz depuis hier on the Web. Intitulé "Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques?", cet article compare les taux accordés par la Federal Reserve aux banques US entre 2007 et 2009 à 0,01% (il parait que c'est pas beaucoup) aux taux auxquels empruntent actuellement certains Etats de la zone euro (autour de 7% pour l'Italie, soit 700 fois plus). Après avoir dénoncé cela, Rocard & Larrouturou proposent pour sortir la zone euro de la spirale infernale que la "vieille dette" des Etats puisse être refinancée à des taux proches de 0%, en expliquant que "faire payer des taux d'intérêt colossaux pour des dettes accumulées il y a cinq ou dix ans ne participe pas à responsabiliser les gouvernements mais à asphyxier nos économies au seul profit de quelques banques privées".
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Avant tout, le Captain' vous conseille vivement de lire l'article sur Le Monde ("Pourquoi faut-il que les Etats payent 600 fois plus que les banques?" allez un peu de courage l'article n'est pas long, en 3 minutes c'est bouclé). C'est bon vous l'avez vraiment lu? Alors c'est parti! Vous vous demandez à cet instant pourquoi est-ce que l'on n'applique pas dès demain le plan Rocard, cela parait tellement parfait sur le papier? Voici donc quelques remarques pour comprendre les limites et effets possibles d'un financement des vieilles dettes à taux 0.
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Si il y a bien une phrase que je partage à 100% avec M. Rocard, qui lui même l'a reprise de Stéphane Hessel, c'est bien que "nos sociétés doivent choisir: la métamorphose ou la mort". Sur les moyens de la métamorphose, le plan Rocard est une solution possible (tentative de neutralité quand tu nous tiens) mais il convient tout de même de préciser quelques détails.
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Concernant l'aide secrète de la FED aux banques en difficulté au taux de 0,01%, le chiffre de 1200 mds correspond au pic de prêts accordés par la FED en une journée aux établissements financiers américains. Oui c'est énorme! Et oui c'est "étrange" (à remplacer par scandaleux si vous préférez) que ces prêts et facilités de paiement soient restés secrets durant deux ans (plus d'infos sur les "Secret Fed Loans" ici)! Mais pourquoi la FED a prêté à un taux si bas aux banques? Pour éviter les faillites en masse ; c'est en tout cas le discours officiel. Autre vision de la part de Bloomberg, qui a estimé que les banques américaines ont engrangé 13 mds de profit grâce à ces prêts à taux réduits (mais ce n'est pas le débat du jour).
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Revenons-en donc à nos moutons. Les prêts accordés par la FED à 0,01% étaient des prêts de court et très court-terme (qui ont officiellement tous été remboursés) ; comparer ce taux avec le taux de 7% qui est le taux italien à 10 ans n'a pas vraiment de logique (l'Italie emprunte à 6 mois à 3,25%, soit beaucoup moins que le taux 10 ans). Pour réellement comparer la situation, il parait plus raisonnable de prendre le taux auquel peuvent se financer les banques de la zone euro à moyen terme et le taux auquel empruntent les Etats pour une même maturité. Fin décembre, la BCE a alloué une aide illimitée sous forme de prêts aux banques  sur trois ans, au taux de 1%. Le taux actuel à 3 ans en Italie sur le marché secondaire est à 5,60% (source Bloomby).
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En ce moment, aussi fou que cela puisse paraître, les banques peuvent donc emprunter à 1% sur 3 ans à la BCE pour un montant illimité, et acheter des bonds du trésor italiens de même maturité qui rapportent 5,60%. Cette opération est sans aucun risque selon M. Rocard, car "il n'y a sans doute aucun risque réel, puisque le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est là pour garantir la solvabilité des Etats emprunteurs" ! C'est bien là ou je ne rejoins pas l'avis de Michel Rocard. Le risque de défaut de l'Italie est réel ; on disait un peu la même chose sur la Grèce il y a un an "non non la Grèce ne fera jamais défaut, tout sera mis en oeuvre pour éviter cette catastrophe"... Raté un peu! C'est dommage que malgré tout ce qui arrive en ce moment, l'on sous-estime encore les risques réels de défaut en zone euro.Â
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La France emprunte à 3 ans autour de 1,7%, c'est déjà  beaucoup moins glamour comme comparaison.  On passe d'une analyse "[...] les Etats payent 600 fois plus que les banques " à  "[...] les Etats payent moins de 2 fois plus que les banques".  Mais dans le fond le problème reste le même : pourquoi les Etats empruntent plus cher que les banques? Plusieurs raisons à cela, plus ou moins légitimes. Tout d'abord, selon l'article 123 du Traité de Lisbonne (c'est toujours beau de citer cet article, juste pour le style), "l'acquisition directe par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est interdite.". L'article 123 n'a pas été rédigé juste pour emmerder les gouvernements en les obligeant à payer de fort taux d'intérêt, mais surtout pour que les gouvernements arrêtent de faire n'importe quoi en empruntant à tour de bras. On a beau l'expliquer, mais quand l'on dépense plus que ses recettes, il y a un moment cela ne tient plus. Il est possible de répercuter cela sur le consommateur (via baisse de la dette par l'inflation), ou sur les créanciers (et hop on fait défaut), mais ce n'est pas vraiment une solution non plus.
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C'est là où intelligemment, M.Rocard propose de n'appliquer un taux ultra-réduit que sur les anciennes dettes ; afin d'éviter des nouveaux emprunts en masse à taux 0 (=hausse dette si pas de contrôle et hausse inflation) et sans avoir nécessairement à changer les statuts de la BCE. Ce n'est que mon avis, mais je pense que l'aléa moral engendré par ce type de plan serait énorme et que malheureusement, les gouvernements emprunteraient sans réelles limites et non pas pour financer des investissements (= bonne dette) mais juste pour financer leurs déficits (=gouffre). Je m'explique.
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Supposons que demain l'on mette en place cela. La vieille dette peut être refinancée à taux 0, et la nouvelle au taux du marché ; taux qui devrait en théorie baisser avec l'allégement de la charge de la dette (selon les anticipations du marché). Bien certes, mais qu'est ce qui dissuaderait vraiment les gouvernements d'émettre de nouvelles dettes, en se disant "en 2012 on m'a permis le refinancement à taux 0 - j'endette le pays en empruntant au taux du marché pour financer mes déficits car de toutes façons dans 5 ans ça sera de nouveau la même histoire - sous prétexte que si on ne m'aide pas mon pays je vais faire défaut, on va me permettre de refinancer mes nouvelles/anciennes dettes, celles contractées entre 2012 et 2017, à taux 0". Résultat: le problème de la soutenabilité de la dette a juste été décalé dans le temps ; rendez-vous donc en 2017 pour crise de la dette #2 et un éclatement général...Â
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Conclusion: Sans dénigrer l'idée de M. Rocard (cela fait toujours du bien de voir des gens qui proposent de nouvelles idées) il ne faut pas croire que le problème est si simple et que du jour au lendemain il est possible d'alléger la charge de la dette sans conséquence. Mais si ce plan s'accompagne de réelles mesures d'équilibre budgétaire et de plan pour la croissance, le Captain' est prêt à signer tout de suite (s'il y a en plus un véritable plan européen avec tout cela, éteignez votre réveil et arrêtez de rêver)! Mais bon si tout cela est mis en place, les Etats emprunteront mécaniquement à des taux bas avec le retour de la confiance des investisseurs, plan Rocard ou non.