Lorsqu'un mathématicien canadien, spécialiste des systèmes complexes non-linéaires tels que la météo et la génétique, rencontre un économiste tchèque, ex-conseiller du président Vaclav Havel, pour parler d'économie, cela donne lieu à une belle discussion sortant des sentiers battus. L'ouvrage de 75 pages "Le crépuscule de l'Homo oeconomicus", paru en novembre 2012, relate les échanges sur des sujets divers et variés entre David Orell (notre mathématicien canadien, prof' à Oxford) et Thomas Sedlacek (notre économiste tchèque, chef des études macro d'une grande banque tchèque). Un bien beau mix entre mathématique, économie, philosophie et religion, qui a inspiré le Captain' pour évoquer le principe de la croissance infinie.
La croissance économique semble être la base de nos sociétés. Sans croissance économique, le système actuel est insoutenable. Mais selon Tomas Sedlacek, "croire que le destin des systèmes est la croissance est absurde". En effet, il explique que la croissance des dernières années a été permise par une forte hausse de la population active mondiale et par une utilisation abusive des ressources naturelles. Hors, ces deux moteurs de la croissance ne semblent pas viables à très long terme. En effet, selon les prévisions des Nations Unies, la population mondiale devrait se stabiliser autour de 9/10 milliards d'habitants, une fois la transition démographique des pays en voie de développement réalisée. Terminer donc la période de croissance mondiale via l'accroissement de la population, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous (sauf bien sûr si le scénario de base médian construit par les Nations Unies se révèle faux).
En ce qui concerne l'utilisation des ressources naturelles, les auteurs reprennent les thèses des économistes environnementaux, en expliquant qu'étant donné le caractère fini des ressources naturelles terrestres, une croissance basée sur une utilisation à outrance des ressources naturelles ne peut pas, par définition, être infinie.
Un document du CNDP "Faut-il cesser la course à la productivité ?" évoque, ce sujet en détail, dont voici un extrait "À lâ€inverse de la thèse classique, on peut penser que, pour des raisons multiples, dont lâ€Ã©puisement des ressources naturelles (fossiles ou renouvelables) et la mise en place de politiques du climat, mais aussi lâ€expansion de services du bien-être, nous allons assister à une forte chute des gains de productivité (à lâ€Ã©chelle macroéconomique) et donc de la croissance quantitative. Cela pourrait être bon pour lâ€emploi et correspondre non pas à une régression, mais à une idée neuve du progrès."
Si l'on souhaite une croissance quantitative de long terme dans une situation de stabilisation de la population mondiale et sans épuiser les ressources naturelles, LA solution semble donc être l'innovation et les gains de productivité des facteurs de production. Dans le papier de recherche "Is U.S. Economic Growth Over? Faltering Innovation Confronts the Six Headwinds" (Robert Gordon - NBER 2012), l'auteur remet en cause l'hypothèse supposant que la croissance économique est un processus continu et infini. En effet, avant 1750, il n'y avait pratiquement pas de croissance dans le monde ; il n'y a donc aucune garantie que la période de croissance dans laquelle nous visons se poursuive indéfiniment. Au contraire, le document suggère que les progrès rapides réalisés au cours des 250 dernières années pourraient bien se révéler être un épisode unique dans l'histoire humaine.
Le graphique ci-après est une pure merveille. En supposant le même niveau d'innovation sur les 20 prochaines années (de 2007 à 2027) que sur la période de 1987 à 2007, donc avec une hypothèse ultra-optimiste qu'une invention aussi puissante que celle d'internet aura lieu d'ici 20 ans, Robert Gordon montre que la croissance du PIB réel par tête aux Etats-Unis, après ajustements, sera quasi-nul sur la période à venir. L'idée est de prendre la croissance du PIB par tête sur la période de 1987 à 2007, soit 1,8% par an, puis de l'ajuster en fonction des différences entre les 20 dernières années et les 20 à venir. La fin du baby-boom, la baisse des gains provoqués par la hausse du niveau éducatif, la hausse des inégalités, l'augmentation des taxes sur les produits énergétiques et la réduction de la croissance par l'endettement pourraient entraîner, selon l'auteur, une hausse du PIB par tête de seulement 0,2% par an pour les 20 prochaines années (sauf pour les 1% les plus riches, dont la hausse du PIB par tête devrait être bien supérieure). Robert Gordon définit lui même cet exercice d'ajustement comme "provocateur", mais ce graphique montre très simplement pourquoi la croissance passée et notre vision de croissance infinie est sûrement biaisée.
Conclusion: Faut-il "dire adieu au mythe de la croissance illimitée" ? Si l'on regarde le graphique ci-dessus, la situation française est finalement assez proche de la situation américaine. Il y a donc fort à parier que les 20 prochaines années soient moins florissantes que les 20 précédentes, en tout cas en termes d'augmentation du PIB réel par tête. Mais la croissance est-elle nécessaire ? Devrait-on mesurer la croissance en utilisant un indicateur moins "comptable" que le PIB, en prenant en compte le capital social, le capital naturel ou la qualité de vie ? "Dis donc Captain', tu dérives clairement pour un mec qui fait de la finance de marché"... Oups, c'est vrai ! Bon je change ma conclusion alors...
Conclusion 2: Tuons les pingouins ! Vive le court-terme ! A mort les pauvres ! (mieux ?)