A la Une du journal l'Humanité d'aujourd'hui "Le SMIC à 1700 euros, c'est possible. La preuve! Six arguments qui en font la démonstration". Intrigué par ce titre, le Captain' est donc parti acheté l'Huma, et vous propose donc de décrypter cette proposition de Jean-Luc Mélenchon, en reprenant un par un les 6 arguments censés montrer que "cette mesure est [...] économiquement réaliste".
Si Jean-Luc Mélenchon était élu, le SMIC, actuellement de 1400 euros brut par mois, serait revalorisé à 1700 euros brut après l'élection présidentielle. Selon un sondage CSA/l'Humanité, 43% de l'ensemble des français considèrent cette mesure justifiée (65% pour les sympathisants de gauche). Cette augmentation du SMIC serait jointe à une revalorisation globale des salaires, retraites et minima. Mais est-ce réellement possible? Le Captain' commence par vous résumer les 6 arguments de l'Huma, avant d'analyser tout cela.
1) Un choix de société: assurer des conditions de vie décentes à chacun
Pas vraiment d'argument économique sur ce 1er point. Simplement quelques chiffres : 10% des salariés bénéficieraient de cette mesure (chiffres en accord avec l'INSEE - source ici). 13,5% de la population en France vit sous le seuil de pauvreté. Rien de bien nouveau et rien concernant la faisabilité de cette mesure.
2) A la portée des PME, si l'on desserre l'étau des banques et des grands groupes
Une des critiques de l'augmentation du SMIC concerne les difficultés que cela engendreraient pour les TPE françaises (Très Petites Entreprises = moins de 10 salariés), car environ un quart des salariés des TPE sont au SMIC. Le journal cite une phrase de l'économiste Marion Cochard (OFCE), mais en oubliant bizarrement la 1ère partie de la citation... Seulement la partie soulignée fait partie de l'article, le début de la phrase ayant disparu "A priori, ça poserait de gros problèmes aux PME. Mais il est important de considérer la mesure dans le cadre d'ensemble du programme de Mélenchon. Celui-ci n'est pas facile à évaluer, car il sort complètement des modèles standards basés sur l'expérience des trente dernières années". Jean-Luc Mélenchon propose de transférer le poids de cette hausse du coût salarial pour les TPE vers les grosses entreprises (suppression des niches fiscales pour les grands groupes...), afin de faire que cette mesure soit neutre pour les TPE.
3) Un levier efficace pour sortir de l'austérité en relançant la croissance et l'emploi
En augmentant le salaire minimum, il doit donc y avoir un effet positif sur la consommation des ménages. D'autant plus que les ménages au SMIC ont une très forte propension marginale à consommer, c'est à dire qu'ils consomment une très grande partie de leurs revenus. Une partie de cette hausse du revenu sera utilisée pour acheter des biens étrangers, mais la part des importations dans la consommation totale des ménages est plus faible pour les ménages pauvres (1er et 2nd décile - source Senat.fr). L'Huma annonce que 14 euros sur un panier de 100 euros servent à acheter des produits importés ; ils auraient même pu pousser plus loin en montrant que l'augmentation du SMIC touchant uniquement les 1er et 2nd décile, seulement 12,7 euros environ sur un panier de 100 euros devraient servir à acheter des produits étrangers.
4) Dans les grands groupes, on peut augmenter les salaires en réduisant les dividendes.
Les arguments présentés ici font encore l'opposition entre grands groupes (= les méchants) et les TPE (=les gentils). Du classique Front de Gauche, mais cela manque d'une réelle analyse, en expliquant que le business de nombreuses TPE et PME est directement lié aux activités des grands groupes, et qu'à force de trop taper sur les méchants du CAC40, cela se répercutera à un moment ou à un autre sur les petites entreprises.
5) Des outils pour inciter les entreprises à développer la croissance et les salaires
Moduler l'impôt sur les sociétés, pénaliser les entreprises qui délocalisent, changement des critères des prêts... C'est vague et hors-sujet. Point suivant !
6) Associer la hausse du pouvoir d'achat à une grande politique industrielle
C'est là que se cache un des points les plus intéressants de cet article : "changer le rôle et la statut de la BCE" pour assurer "la maîtrise publique et sociale des réseaux de l'argent jusqu'au niveau européen". Le Front de Gauche propose de remettre en question la loi de 1973 qui interdit une Banque Centrale de prêter directement aux Etats. En faisant cela, la France pourrait emprunter directement à la Banque Centrale Européenne, sans payer d'intérêt sur sa dette. Oui mais...
Car finalement, et ce point n'est absolument pas abordé dans l'article de l'Huma, augmenter les salaires, retraites et minima, auraient un impact sur le secteur privé bien sur, mais aussi sur les comptes de l'administration publique. Difficile de chiffrer l'impact de cette mesure, les détails des revalorisations n'étant pas connus, mais cela augmenterait mécaniquement le déficit et la dette de la France. En changeant les statuts de la BCE, on aurait alors une sorte de monétisation de la dette, ce qui serait créateur d'inflation. L'inflation pourrait de plus être renforcée par la boucle prix-salaire : l'augmentation des salaires pouvant en effet augmenter les prix (donc hausse de l'inflation). Ceci entraînerait une réduction du pouvoir d'achat des 90% des salariés non-touchés par la mesure, tout en réduisant la compétitivité des entreprises françaises.
Le levier pour la croissance, via la hausse de la consommation, suppose que la hausse du SMIC ne soit pas créatrice d'une hausse du chômage (délocalisation ou non-création d'entreprises, remplacement accéléré caissière par machine...). De plus, dans une période de crise, il est possible qu'une partie non-négligeable de la hausse du SMIC soit utilisée pour de "l'épargne de précaution" (et non pas consommée).
Le SMIC en France est déjà l'un des plus élevés au monde. L'augmenter davantage comporte des risques non-négligeables sur l'emploi. Pour plus d'infos, lire l'article du Captain' Le SMIC en France et dans le monde - Théorie et application
Conclusion: Le programme de Jean-Luc Mélenchon, comme celui d'ailleurs de Marine Le Pen, se base sur un changement des statuts de la BCE. C'est bien évidemment sympa sur le papier de dire que l'on va augmenter le SMIC, en montrant que l'on va prendre aux grands groupes pour redistribuer aux pauvres. Mais une partie de la hausse du SMIC (et le financement de nombreuses autres mesures) sera faite via un rachat direct de dette par la Banque Centrale Européenne (ou Banque de France si sortie de l'Euro). Si le SMIC qui rapporte 200 ou 300 euros de plus, mais que dans le même temps les prix augmentent très rapidement et que de nombreux emplois sont détruits, le Captain' est loin d'être sur qu'il y aura un lien mécanique avec une hausse du pouvoir d'achat! Il est vrai cependant que ces mesures sont difficiles à estimer, car elles doivent être analysées dans le cadre d'un nouvel "ordre économique". Mais cet ordre est très mal défini, sûrement par choix pour éviter de se heurter à la quasi-inapplicabilité, sans une concertation européenne, des mesures proposées.