Après la démission du ministre des Finances Victor Gaspar lundi, c'est hier soir le numéro 2 du gouvernement, Paulo Portas, qui a décidé de jeter l'éponge. Cette double démission provoque actuellement un vent de panique sur les marchés ; le taux d'emprunt à 10 ans du Portugal est passé de 6,5% lundi (ce qui était déjà pas mal) à 8% aujourd'hui. Vous allez me dire qu'en France Delphine Batho a été limogée par le gouvernement et les marchés ne semblent pas s'affoler... Ce n'est pas faux, mais entre notre chère ministre de l'écologie et l'architecte de la rigueur au Portugal, les marchés surveillent davantage les actes d'une des deux personnes (bizarre bizarre). Cette double démission est le signe d'un rejet de la politique d'austérité de la part des portugais, et tombe à peine deux mois après que le Portugal soit revenu sur les marchés en mai 2013. Mais pour bien comprendre la situation actuelle, retournons quelques années en arrière.
Janvier - Mai 2011 : Les marchés commencent à douter de la capacité du gouvernement portugais à mettre en place les réformes pour rendre sa dette soutenable, mais aussi de la stabilité de la zone euro. Le taux à 10 ans portugais passe de 5% à 10% en seulement quelques mois, et bien qu'il n'existe pas de taux à partir duquel on considère que la dette devient insoutenable, il est assez clair que pour des pays avec une croissance nominale faible, un taux supérieur à 7 ou 8% emmène le pays droit dans le mur (la charge d'intérêt de la dette devenant trop importante). Le Portugal n'étant plus en mesure d'emprunter sur les marchés fait donc appel en mai 2011 à la troïka (Commission Européenne, BCE, FMI), et un plan de sauvetage d'un montant de 78 milliards est alors signé. Comme toujours avec les plans d'aide, le versement des tranches d'aide (les 78 milliards n'étant pas prêtés comme ça en 1 jour mais versés par tranche pour une durée convenue) est conditionné à la mise en place de réformes structurelles ayant pour but de remettre le pays dans le droit chemin et de rééquilibrer les finances publiques. Bien que cela soit devenu un vilain mot, le versement de l'aide est donc conditionné à l'instauration de mesures d'austérité.
Le Portugal met alors en place de nombreuses réformes (gel des salaires, réduction des dépenses, hausse de la TVA, suppression des niches fiscales, suppression des administrations inutiles...) en suivant plus ou moins un calendrier imposé par la troïka (source FMI : "Letter of Intent, Memorandum of Economic and Financial"), avec comme objectif de ramener le déficit à 3% en 2013. Voici l'extrait officiel du FMI daté de mai 2011:
"Reduce the Government deficit to below EUR 10,068 million (equivalent to 5.9% of GDP based on current projections) in 2011, EUR 7,645 million (4.5% of GDP) in 2012 and EUR 5,224 million (3.0% of GDP) in 2013 by means of high-quality permanent measures and minimizing the impact of consolidation on vulnerable groups; bring the government debt-toGDP ratio on a downward path as of 2013; maintain fiscal consolidation over the medium term up to a balanced budgetary position, notably by containing expenditure growth; support competitiveness by means of a budget-neutral adjustment of the tax structure" - IMF
Et alors, les réformes ont-elles eu l'effet escompté en permettant au Portugal de ramener son déficit à 3% du PIB ? Et bien malheureusement non ! Selon les dernières prévisions du FMI (source : "IMF World Economic Outlook Database April 2013"), le déficit devrait atteindre 5,5% en 2013 ! La faute à qui ? La faute à 3 années consécutives de récession (-1,5% en 2011, -3,2% en 2012 et une prévision de -2,3% en 2013) et à 4 années consécutives de hausse du chômage (de 10% en 2010 à 18% actuellement), en partie à cause de la mise en place des mesures d'austérité.
Il est toujours intéressant de comparer la situation actuelle avec les prévisions de l'époque. La base de données des prévisions du FMI d'avril 2011 est toujours accessible sur le site du FMI (source : "IMF World Economic Outlook Database April 2011"). A cette époque, le FMI prévoyait pour 2013 une croissance de 1% et un taux de chômage de 11%. Ce qui est intéressant est de voir que la prévision de déficit de l'époque pour 2013 était de 5,7%, qui est quasi exactement la même que la prévision actuelle, et ce malgré les très nombreux sacrifices et efforts demandés au Portugal.
Les mesures d'austérité n'ayant donc pas eu l'effet attendu, les portugais, à l'instar des grecs, ont petit à petit commencé à s'opposer aux différents plans de rigueur avec un rejet de plus en plus marqué de la politique imposé par la troïka. Manifestations, grèves et autres joyeusetés contre l'austérité se sont multipliés au Portugal depuis la mise en place du plan d'aide. Cependant, les marchés ont de leur côté été rassuré par la capacité du gouvernement portugais à tenir ses engagements et à rembourser sa dette (baisse de la probabilité d'un défaut ou d'un éclatement de la zone euro), et donc les taux souverains portugais sur le marché secondaire ont petit à petit baissé, jusqu'à ce beau jour de mai 2013 où le Portugal a décidé de réemprunter pour le 1ère fois sur les marchés, avec une émission obligataire au taux de 5,6%. Le Portugal pensait alors peut-être avoir fait le plus dur et voyait se profiler un horizon sans troïka et le retour de sa souveraineté nationale.
Mais suite à la double démission cette semaine, signe du rejet de l'austérité, le Portugal est de nouveau sous pression et risque à ce rythme de ne plus être capable d'emprunter sans aide sur les marchés. Le taux d'emprunt à 10 ans a atteint aujourd'hui 8%, ce qui pour un pays avec un dette en pourcentage du PIB de 120% est littéralement insoutenable. Plusieurs questions se posent alors : (1) les marchés vont-ils se calmer rapidement, avant la prochaine émission obligataire portugaise, en revenant autour de 6% ce qui permettrait au Portugal de continuer à emprunter sans aide extérieure, (2) la BCE va t-elle devoir intervenir en lançant pour la 1ère son fameux bazooka de rachat illimité de dette nommé OMT (Outright Monetary Transactions - lire "Rachat de dette: la BCE envoie l'artillerie lourde !") ou (3) les démissions vont-elles se succéder ce qui remettrait en cause la politique menée par le Portugal et pourrait dans le pire des cas avoir comme conséquence un arrêt de l'aide de la troïka, une absence de soutien de la part de la BCE et donc à terme une sortie du Portugal de la zone euro.
Conclusion : Réponse dans quelques jours / semaines !
UPDATE : le taux à 10 ans en légère baisse à 7,8%. La bourse de Lisbonne s'écroule de 6,5%. La crise au Portugal entraîne l'Espagne et l'Italie dans sa vague, en suivant la classique corrélation négative entre les taux des pays "core" et les taux des pays périphériques (lire "Core versus périphérie : pourquoi les taux souverains sont-ils négativement corrélés ?")