Hier, lors de son meeting à Villepinte, Nicolas Sarkozy a proposé de mettre en place un "Buy European Act". En quoi cela consiste? Quels sont les effets positifs et négatifs de cette proposition? Quel est l'avis du Captain' sur la question?
Le "Buy European Act" est inspiré du "Buy American Act", mis en place par Roosevelt en 1933. Cette loi, toujours en vigueur, impose aux autorités américaines d'acheter des biens produits sur le territoire américain dans le cadre des marchés publics. Pour simplifier, si l'Etat américain souhaite construire une autoroute, il doit faire appel à des entreprises américaines pour fournir les matériaux et travaux. Pour rappel, nous étions en 1933 en pleine "Grande Dépression" (après le crack de 1929). Et c'est encore une fois dans une période de crise (et d'ailleurs comme en 1933, 4 ans exactement après le début de la crise) que reviennent les sentiments protectionnistes. "L'enfer c'est les autres".
Nicolas Sarkozy souhaite donc qu'une partie des marchés publics de l'Etat et des collectivités locales soit réservée aux entreprises produisant sur le sol européen, avec une attention toute particulière vers les PME. Objectif de cette proposition: réindustrialiser l'Europe et combattre la hausse du chômage.
Selon la théorie (de David Ricardo et autres), le libre-échange améliore le bien-être général de la société. C'est entre autre en s'appuyant sur cela que le Captain' avait rédigé il y a quelques semaines une Tribune: Non à la montée du protectionnisme en France. Mais tout n'est pas parfait il est vrai, Nicolas Sarkozy a bien résumé la situation actuelle "Le libre-échange, oui ! La concurrence déloyale non !" (non non, ce n'est pas la peine de traiter le Captain' de Sarkozyste pour autant...).
Qu'entend-il par "concurrence déloyale"? Pour que le libre-échange améliore réellement le bien-être général, il faut veiller à la réciprocité des concessions consenties, comme demandé par l'Organisation Mondiale du Commerce. C'est à dire pour faire simple que si l'on ouvre notre marché à la concurrence étrangère, il faut que les autres pays ouvrent eux aussi leurs marchés aux entreprises françaises. Et c'est un peu là que le bât blesse: la zone euro est bien plus ouverte à la concurrence des produits chinois/américains que la Chine ou les USA ne sont ouverts aux entreprises européennes.
Imaginez que vous soyez le meilleur pour produire des stylos, que votre ami Chang le chinois soit imbattable pour faire des chemises et que Jack le ricain soit ultra-productif pour faire des iPad. Dans le meilleur des mondes, il y aura amélioration du bien-être général si chacun se spécialise dans la production du bien pour lequel sa productivité relative est la plus élevée. Plus simplement, si vous êtes "bons" dans la fabrication de stylos et mauvais pour faire des iPad, et que c'est l'inverse pour votre copain Jack, alors il parait logique que chacun fabrique le bien pour lequel il est le meilleur, et que vous échangiez ensuite vos stylos contre des iPad sur un marché totalement ouvert.
De même pour un Etat, si l'Etat chinois a besoin d'acheter des stylos pour ses administrations, alors il devrait les acheter à des entreprises françaises ; même chose si la police française veut mettre des belles chemises à ses policiers, elle devrait importer des chemises chinoises. Cette situation améliorerait le bien-être de tout le monde, par rapport à une situation où la Chine achèterait ses stylos à des entreprises chinoises (=plus chères RELATIVEMENT) et où la France achèterait ses chemises à des producteurs français (= allocation non-optimale de la production).
Mais en réalité, si l'Etat français a besoin dans notre exemple de chemises, il va importer cela de Chine. Mais si l'Etat chinois a besoin de stylos, il ne va pas importer cela de France mais donner une préférence aux entreprises domestiques. L'établissement d'un "Buy European Act" permettrait donc de corriger en partie cette asymétrie. En théorie la meilleure situation serait d'arriver à supprimer les mesures restrictives existant en Chine et aux US, pour supprimer cette "concurrence déloyale". Mais étant donné l'impossibilité sur le court-terme de cela, cette loi pourrait permettre de ré-égaliser la "réciprocité des concessions consenties'.
Bon why not donc, mais quelles seraient les effets de cette loi? Privilégier les produits européens, plus chers relativement, va renchérir le coût pour l'Etat et les collectivités des politiques menées. Dans la période actuelle où les caisses sont vides, cela peut poser pas mal de problèmes. Second risque, le fait que le tissu industriel français ne soit pas spécialement prêt à cela. Je m'explique. La France est composée, contrairement à l'Allemagne, de beaucoup de PME de "petites" tailles, qui risquent d'éprouver des difficultés à s'imposer sur les marchés européens en n'étant pas capables de répondre aux appels d'offres des autres Etats européens. Après cela peut aussi être une opportunité pour ces entreprises de passer au niveau supérieur, en accroissant leurs capacités de production et en se tournant vers l'export (à la manière des PME allemandes). Dernier risque: la possibilité de voir les Etats non-européens mettre en place de nouvelles mesures protectionnistes, pénalisant les exportations des entreprises européennes et pouvant entraîner une sorte de "guerre douanière".
Conclusion: Le Captain' n'est ni vraiment pour ni vraiment contre cette mesure (tout ça pour ça); étant donné qu'on ne connaît pas encore les modalités de ce "Buy European Act", qui risque de toute façon de ne jamais voir le jour étant donné le casse-tête législatif que cela engendrerait (règles de l'OMC, lois européennes...). Je vous invite à lire le billet de l'excellentissime Alexandre Delaigue sur Libération Le «Buy European Act» de Sarkozy est-il une fausse bonne idée ?