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La condition de Marshall-Lerner : dévaluation ≠ amélioration balance commerciale

29/07/2013 Le Captain' Economie Internationale
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La balance commerciale représente la différence entre les exportations et les importations d'un pays. Lorsque les exportations sont supérieures aux importations, on dit alors que le pays présente un excédent commercial ; dans le cas contraire, le pays est en déficit commercial. Le taux de change d'une monnaie a un impact direct sur la balance commerciale d'un pays. En effet, lorsque le taux de change d'un pays se déprécie, les exportations en volume augmentent (car les produits domestiques deviennent moins cher pour les pays étrangers) et les importations en volume diminuent (cela vous coûte plus cher d'acheter des produits à l'étranger, donc vous acheter moins). Il semble alors possible de conclure très simplement en affirmant que "la dévaluation du taux de change permet d'améliorer les exportations tout en diminuant les importations, et donc qu'une dévaluation améliore nécessairement la balance commerciale d'un pays". Mais cette phrase est incorrecte. Explications.

 

La balance commerciale de la France correspond à la valeur en euro des exportations, moins la valeur en euro des importations. Supposons que la France ne soit pas dans la zone euro et décide de dévaluer sa monnaie dans le but initial d'améliorer sa balance commerciale (pour info, la France a eu en 2012 un déficit de balance commerciale de 67 milliards d'euros ; l'Allemagne un excédent de 188 milliards d'euros !!!). Quels vont être les différents effets de cette dévaluation ? La dévaluation va permettre de relancer les exportations, via la baisse du prix des produits français pour les acheteurs étrangers. Mais cette relance des "exportations" ne sera pas immédiate. Il faut en effet un certain laps de temps pour que les exportateurs français mettent en place les capacités de production pour répondre à cette hausse de la demande étrangère (nouvelles machines, embauches...) et un certain laps de temps pour que les acheteurs étrangers trouvent les bons fournisseurs français et signent de nouveaux contrats. Cette hausse des exportations est appelée "effet-volume" de la dévaluation.

 

Mais qu'en est-il des importations ? La dévaluation va entraîner une hausse immédiate du prix des produits importés ; c'est ce que l'on appelle "l'effet-prix" de la dévaluation. A moyen terme, les consommateurs français devraient consommer de moins en moins de produits importés en se reportant sur des produits domestiques substituts. Mais il faut du temps pour que les producteurs français soient en mesure de proposer ces substituts... en supposant même que cela soit possible un jour.

 

Au total, l'effet sur la balance commerciale va donc dépendre de l'ampleur des deux phénomènes ; l'effet-volume qui améliore la balance commerciale et l'effet prix qui détériore cette même balance. Mais comment peut-on mesurer l'ampleur de ces effets ? Pour cela, il faut utiliser ce que l'on appelle l'élasticité-prix des importations et l'élasticité-prix des exportations. En économie, l'élasticité-prix de la demande correspond à la variation en pourcentage de la demande suite à une augmentation de 1% du prix. Cette élasticité est négative, ce qui signifie qu'une hausse de prix entraîne une baisse de la demande, et inversement (logique).

 

Supposons que l'élasticité-prix des exportations soit égale à -1 (une augmentation de 1% du prix entraîne une diminution de 1% de la demande en exportation ; et donc inversement une baisse de 1% du prix entraîne une augmentation de 1% de la demande en exportation), et que l'élasticité-prix des importations soit égale à -0,5 (une augmentation de 1% du prix entraîne une diminution de 0,5% de la demande en importation). 

 

Pour simplifier la situation, supposons que la France n'exporte qu'un seul produit, au prix actuel de 100 euros. La demande de la part des pays étrangers est de 1000 unités par an. De l'autre côté, la France n'importe qu'un seul produit au prix de 50 dollars et en importe 2000 unités par an. Le taux de change euro-dollar est défini tel que 1 euro = 1 dollar. Pour le moment, la balance commerciale de la France est donc à l'équilibre (exportations en valeur = 100 * 1000 euros / importations en valeur = 50 * 2000 dollars avec un taux de change 1 euro = 1 dollar).

 

Du jour au lendemain, la France dévalue sa monnaie de 10% (1 dollar = 1,1 euro). Etant donné les élasticités, la demande en exportation va augmenter de 10%, et la demande en importation va diminuer de 5%. La balance commerciale de la France est alors :

 

- Exportations : 1100 unités (hausse de 10%) * 100 euros = 110.000 euros

- Importations : 1900 unités (baisse de 5%) * 50 dollars * 1,1 euro/dollar = 104.500 euros

 

La balance commerciale de la France est donc devenue positive (exportations en valeur > importations en valeur). Prenons un autre exemple, en supposant que l'élasticité des importations est désormais égale à 0 (les importations en volume ne changent pas peu importe le taux de change, ce qui peut se rapprocher d'une situation où la France importe principalement de l'énergie et des matières premières sans substitut domestique) et que l'élasticité des exportations soit de 0,5. Dans cette situation, la balance commerciale est alors la suivante : 

 

- Exportations : 1050 unités (hausse de 5%) * 100 euros = 105.000 euros

- Importations : 2000 unités (pas de changement car pas de substitut) * 50 dollars * 1,10 = 110.000 euros

 

Dans cette situation, une dévaluation dégrade la balance commerciale de la France. C'est ce que l'on appelle le théorème des élasticités critiques ou bien la condition de Marshall-Lerner. La balance commerciale d'un pays s'améliore suite à une dévaluation si et seulement si la somme des valeurs absolues des élasticités est supérieure à 1. Dans la première situation, c'est le cas  (élasticité-exportation égale à 1 et élasticité des importations égale à 0,5 en valeur absolue) et la balance commerciale s'améliore. Dans la seconde situation, ce n'est pas le cas (élasticité-exportation égale à 0,5 et élasticité des importations égale à 0 en valeur absolue) et la balance commerciale se dégrade.

 

Il existe de plus un délai entre l'effet-prix sur les importations qui est immédiat et l'effet-volume sur les exportations qui met davantage de temps à se mettre en place, comme expliqué précedemment. Ce décalage temporel se traduit par une "courbe en J" (on suppose ici que la dévaluation a un effet global positif à long-terme, et donc que la somme des élasticités en valeur absolue est positive). La dévaluation détériore dans un premier temps la balance commerciale (effet-prix), puis l'améliore via l'effet-volume. L'effet total dépend de l'ampleur des deux phénomènes.

courbej

 

 

Conclusion : La dévaluation est souvent présentée comme LA méthode la plus simple et efficace pour relancer l'économie d'un pays. Il faut cependant prendre en compte l'effet-prix sur les importations, qui peut être très fort principalement pour les pays ayant peu de ressources naturelles (énergétiques + matières premières). En France, la facture énergétique est en augmentation constante depuis 4 ans et a atteint 69 milliards d'euros en 2012  (source: "Résultat du commerce extérieur en 2012 - Bercy"). De quoi faire réfléchir un peu toutes les personnes criant haut et fort que "l'euro est trop fort" et qu'il suffirait de dévaluer pour régler le problème...

 

deficit-energetique-france

 

 



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Mais qui se cache derrière le masque du Captain'? Bruce Wayne? Peter Parker? Un lobbyiste de JP Morgan?

Et bien désolé de vous décevoir... Mais le Captain' est simplement un docteur en Sciences de Gestion (Finance), maître de conférences en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et conseiller scientifique au conseil d'Analyse Economique. Et qui profite de quelques heures par semaine pour arrêter de geeker sur ses thématiques de recherche en s'amusant à rédiger des articles plus ou moins sérieux sur l'économie et la finance.

Pour une description plus complète de ma vie, c'est ici --> Mais qui est donc le Captain'?. Et pour mes recherches académiques, c'est par là.

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