En France, selon un rapport de l'INSEE paru le 6 mars 2013 ("Participation, intéressement et plans dâépargne salariale : quelles différences dâaccès"), 7,2 millions de salariés ont reçu en 2010 une prime au titre de la participation, de l'intéressement, ou sous la forme d'un abondement de l'employeur sur un plan épargne entreprise (PEE) ou retraite collective (PERCO). Au total, les entreprises de plus de 10 salariés ont versé un peu plus de 16 milliards d'euros à leurs salariés au titre de l'exercice 2010. Mais comment cela fonctionne t-il ? Et d'un point de vue économique, comment peut-on justifier l'existence de primes plutôt qu'une hausse généralisée des salaires ?
L'épargne salariale regroupe l'ensemble des dispositifs permettant aux salariés d'être associés financièrement au développement de leur entreprise et de se constituer ainsi une épargne dans un cadre collectif. L'intéressement est le plus ancien de ces dispositifs (1959) ; le montant de la prime d'intéressement reversé par l'entreprise à ses salariés chaque année est déterminé en fonction d'une formule de calcul décidée au sein de chaque entreprise, et faisant appel à des éléments objectivement mesurable (chiffre d'affaires, bénéfice, objectif qualité, productivité...). La participation est quant à elle un mécanisme obligatoire (contrairement à l'intéressement) pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés, et doit respecter la formule fixée par la loi : Participation = 1/2 (B †5 % C) X S/VA . C'est à dire que la participation dépend de "B", le bénéfice distribuable , "C" les capitaux propres de l'entreprise, "S" l'assiette salariale et "VA" la valeur ajoutée. En appliquant la formule, on se rend compte que, par exemple, si le bénéfice distribuable est inférieur à 5% des capitaux propres, alors le montant de la participation devient nécessairement inférieur à 0, et donc il n'y a aucun versement de la part de l'entreprise.
L'idée générale, que ce soit pour l'intéressement comme pour la participation, est d'impliquer le salarié dans l'entreprise (pour le pousser à faire que les résultats de l'entreprise soient bons) tout en offrant davantage de flexibilité aux entreprises (si les bénéfices sont faibles, il n'y a pas de participation à verser ; si les objectifs n'ont pas été atteints, il n'y a pas d'intéressement à verser). Une partie du risque est ainsi transféré de l'entreprise vers le salarié, comme on peut le voir sur le graphique suivant ; en période de crise, les entreprises diminuent les montants distribués au titre de l'épargne salariale.
Mais en plus de ce gain de flexibilité pour les entreprises, il existe de nombreuses mesures fiscales expliquant le succès des dispositifs d'épargne salariale (exonérations, sous certaines conditions, de cotisations sociales, d'impôt sur le revenu, déductibilité du bénéfice imposable ...). Du côté employeur, la grande majorité des montants distribués au titre de l'épargne salariale sont donc soumis à ce que l'on appelle le "forfait social", au taux de 20% (le taux du forfait social était de 2% en 2009, puis 8% début 2012 pour passer à ... 20% après l'élection de François Hollande). Mais quels sont les arguments pour taxer davantage ces dispositifs, qui semblent pourtant permettre un meilleur partage du profit entre employeur et employé (= intéressant sur le papier pour les employés), tout en assurant une certaine flexibilité aux entreprises en cas de choc, contrairement aux salaires fixes (= bon pour les employeurs) ?
Il y a deux explications possibles à cela. La première se base sur le principe de "justice fiscale". En effet, et selon l'INSEE, plus de la moitié des salariés nâ€ont pas perçu en 2010 de prime dâ€intéressement de participation et dâ€Ã©pargne salariale, alors que les 10 % qui en ont le plus bénéficié se sont partagés 57 % des montants distribués à ce titre. Dans cette situation, si la taxation sur les montants distribués au titre de l'épargne salariale est bien inférieure à la taxation sur les salaires, alors cela revient à avantager une certaine classe de la population et/ou un certain type d'entreprise. C'est une niche fiscale, et il faut donc s'interroger sur le bien-fondé de cette mesure (comme pour toute niche fiscale).
De plus, et bien que cela soit interdit par la loi, si l'épargne salariale vient en substitution du salaire (et non pas en complément), alors cela devient un avantage fiscale qui n'a aucune raison d'être. Supposons par exemple une entreprise qui paye un salarié 30.000 euros par an. Si au lieu de cela, l'entreprise détermine une formule de calcul simple pour faire que peu importe les résultats de l'entreprise, l'intéressement versé sera de 2.000 euros, et que de l'autre côté, le salaire de l'employé passe à 28.000 euros, alors il n'y aura aucun changement au niveau du salaire annuel pour l'employé (intéressement compris), mais l'entreprise payera ainsi moins de charge (sans raison).
Le forfait social étant payé par l'entreprise, vous allez me dire "non mais c'est pas grave de toute façon, c'est les patrons qui vont payer"... Il faut bien comprendre que la hausse du forfait social risque de se répercuter en 1er lieu sur les montants perçus par les employés ; si les entreprises allouent le même montant brut avant taxes, alors, en montant net, ce sont les employés qui trinqueront.
Comme mis en avant par la fondation iFRAP dans "Les contradictions du forfait social", comment expliquer, si le principe de "justice fiscale" est si important, je cite, qu'"il existe de nombreuses autres dérogations fiscales, et en particulier celles qui portent sur les livrets dâ€Ã©pargne [...]. Ãtait-il souhaitable dâ€arbitrer ainsi en faveur de lâ€Ã©pargne à court terme (pour les livrets dâ€Ã©pargne en tout cas) au détriment des objectifs de lâ€Ã©pargne salariale ? Nous ne le pensons pas.".
La seconde explication est beaucoup plus simple, mais malheureusement de mon point de vue beaucoup plus crédible. Les montants versés annuellement sont loin d'être négligeable, autour de 16 milliards d'euros par an. Une hausse du forfait social permet tout simplement de faire rentrer quelques milliards d'euros dans les caisses de l'Etat chaque année, afin d'augmenter les recettes et de combler les déficits. Ceci implique cependant une baisse du pouvoir d'achat pour les employés, comme les dizaines de hausse d'impôts mises en place depuis le début de la crise.
Sans rentrer dans les détails, le schéma ci-dessous résume assez simplement les flux de participation, d'intéressement et d'abondement sur plans d'épargne salariale dans les entreprises de 10 salariés au plus (montants nets, en milliards d'euros). Lorsqu'un employé reçoit une prime de participation ou d'intéressement, il a alors le choix de retirer l'argent tout de suite (mais sans bénéficier de certains avantages fiscaux), ou bien de placer cet argent sur des plans d'épargne salariale du type PEE (argent bloqué 5 ans) ou PERCO (investissement indisponible jusqu'au départ à la retraite). Dans le cadre d'un placement sur PEE ou PERCO, l'entreprise peut "abonder" les sommes versées, c'est à dire verser une somme complémentaire de la somme affectée par le salarié sur un plan d'épargne d'entreprise.
Conclusion : L'épargne salariale permet d'impliquer davantage les employés dans l'entreprise (hausse productivité et sentiment d'appartenance), tout en permettant davantage de flexibilité au niveau de l'employeur. Mais le succès de l'épargne salariale est principalement dû aux avantages fiscaux qui en découlent, pour les employeurs comme pour les employés. C'est donc une sorte niche fiscale (oh le vilain mot), qui coûte, selon certaines estimations, environ 4 milliards d'euros par an à l'Etat. Il est donc important de s'intéresser à la légitimité de cette intervention de l'Etat, comme le fait très bien François Meunier (ancien président du DFCG) dans l'article "La participation et lâ€intéressement : un statut fiscal à revoir"). Le Captain' se permet de faire un petit copier/coller de cet article... puis de ses contre-arguments par la suite avec une vidéo de Jérôme Dedeyan sur BFM Business.
"Bien peu de gens informés iraient contester le rôle et lâ€utilité (jusquâ€Ã un certain point) des rémunérations variables, y compris collectives, en termes de motivation, dâ€association au risque dâ€entreprise, de flexibilité des coûts salariaux. Le point de fond du papier est tout autre : est-ce bien le rôle de lâ€Etat de subventionner †et très largement †un système sur lequel employeurs et salariés nouent spontanément des accords contractuels ? Surtout quand cette aide publique engendre des distorsions majeures sur la durée : entre salariés de PME et salariés de grands groupes, entre entreprises de main dâ€Åuvre et entreprise à très haute productivité du travail, entre rémunérations variables individualisées et collectives."