Hier, lundi 13 mai 2013, le think tank américain PewResearch Center a publié les résultats de son étude annuelle "Global Attitude Project", une série de sondage ayant pour but d'analyser l'opinion des habitants de chaque pays sur la situation économique mondiale et domestique, ainsi que sur les enjeux actuels de notre monde. Mais pourquoi s'intéresser à cette étude plutôt qu'aux dizaines de sondages publiés chaque jour dans la presse ? Simplement car d'un point de vue méthodologique et statistique, tout est quasi-parfaitement détaillé (méthode de sondage, marge d'erreur, données historiques, accès aux questionnaires) et cela va nous permettre, en plus de voir les problèmes actuels et futurs de la zone euro et de la France, de discuter de la théorie de l'échantillonage, de la marge d'erreur et du seuil de confiance.
Pour voir l'étude complète, c'est par ici "The New Sick Man of Europe: the European Union". Si vous êtes soudain pris d'une crise de flemmite aiguë, voici donc un résumé de ce rapport de 38 pages. Dans le fond, il n'y a rien de bien nouveau : les Allemands sont plutôt contents de la gouvernance du pays et optimistes pour le futur, les Français sont mécontents et pessimistes, et les Italiens et les Espagnols sont au bord du suicide. Plutôt que de long discours, un graphique résume bien l'évolution de la vision des habitants de chaque pays depuis 2007 sur la situation économique domestique. Il s'agit de la réponse à la question suivante (même question posée depuis 2007, ce qui permet de supprimer un biais potentiel concernant la façon dont est posée la question).
Q4 - Now thinking about our economic situation, how would you describe the current economic situation in (survey country) †is it very good, somewhat good, somewhat bad or very bad?
En Allemagne, 75% des sondés ont répondu "very good" (10%) ou "somewhat good" (65%) à la question sur la situation économique actuelle du pays. En France, personne n'a osé répondre "very good' (0% arrondi) et 9% ont répondu "somewhat good". On remarque d'ailleurs que les français ont une tendance naturelle a être plus pessimiste en moyenne que les autres pays, même avant la crise de 2008 (d'où l'intérêt de regarder l'évolution de l'opinion, et non pas uniquement le niveau absolu à une date t).
Par définition, un sondage est basé sur un échantillon de la population, et il existe donc forcément une marge d'erreur, qui dépend de pas mal de choses dont la taille de l'échantillon (plus l'échantillon est grand, plus la marge d'erreur est faible) et la méthode d'échantillonnage (pour s'assurer que la population sondée est bien représentative de la population totale, il faut se rapprocher au maximum d'une sélection aléatoire des sondées). C'est bien sûr ultra-simplifié, pour ceux souhaitant en savoir (beaucoup) plus sur ce sujet, je vous conseille de lire 'Designing Household Survey Samples: Practical Guidelines", un beau document de 200 pages que le Captain' avait eu la joie de lire lors de son stage à l'ONU pour un rapport sur le travail informel et une présentation au "Workshop on Informal Employment and Informal Sector Data Analysis" à Bangkok en mai 2009 (souvenir souvenir ...).
Bref, dans le cadre de l'étude du PewResearch Center, la méthode d'échantillonnage, la taille de l'échantillon, la marge d'erreur et l'intervalle de confiance sont donnés pour chaque pays. Par exemple, pour la France, cela nous donne ça (source : "Survey Methods"):
Country: France
Sample design: Random Digit Dial (RDD) sample of landline and cell phone-only households with quotas for gender, age and occupation and stratified by region and urbanity
Mode: Telephone adults 18 plus
Languages: French
Fieldwork dates: March 4 †March 16, 2013
Sample size: 1,004
Margin of Error: ±3.6 percentage points
Representative: Telephone households (roughly 99% of all French households)
La marge d'erreur estimée est de + ou - 3,6 points de pourcentage, c'est à dire qu'avec un seuil de confiance de 95%, on estime par exemple que si à une question il y a 502 réponses "OUI" et 502 réponses "NON", l'opinion "OUI" n'est pas de 50% pour sûr, mais comprise entre 46,4% et 53,6%, et ce avec une probabilité de 95% (il existe 5 chance sur 100 que la "vraie valeur" ne soit pas comprise dans cet intervalle... la certitude à 100% n'existant pas). La méthode d'échantillonnage par appel téléphonique aléatoire avec quota par âge, sexe, profession, région et ville/campagne permet d'avoir un échantillon représentatif de la population française (il est vrai qu'il est impossible comme cela d'interroger par exemple des SDF n'ayant pas de téléphone, mais la méthode d'échantillonnage est tout de même très précise et il est difficile de faire mieux).
Vous avez tout compris. Et bien voici donc des statistiques et des graphiques guères réjouissants sur la situation actuelle de la France (et de la zone euro périphérie).
Ce qui est particulièrement intéressant est l'évolution de l'attitude allemande sur l'euro et l'intégration économique européenne (+ aide financière aux pays en difficulté) qui évolue dans un sens contraire à la tendance générale. Attention, ceci représente l'opinion de la population sondée, et non pas l'opinion des gouvernements en place (ni nécessairement les actes).
Allez un petit dernier graphique pour la route qui me fait beaucoup rigoler sur les stéréotypes en Europe et la réponse des sondées de chaque pays à la question "dans l'Union Européenne, les habitants de quel pays sont les plus digne de confiance (trustworthy) / arrogants / compatissants (compassionate). Toujours intéressant de voir ce que pense les grecs des allemands, et les anglais des français ;)
Conclusion : Le Captain' n'a pas pour habitude de commenter ou de reprendre des résultats de sondage (ce n'est tout de même pas très stimulant intellectuellement...) mais ce rapport du PewResearch Center, en plus de quelques données intéressantes ou marrantes, me permettait d'introduire un peu la théorie du sondage et certains grands principes qui ne sont pas souvent mis en avant dans les articles journalistiques qui se résument souvent à une simple description des résultats. Il est important de bien comprendre l'importance de l'échantillonnage, de la marge d'erreur, du seuil de confiance, et d'identifier tous les biais possibles avant d'analyser les résultats d'un sondage. Comme le Captain' est un peu psycho-rigide sur les bords, il pense d'ailleurs qu'il faudrait que la marge d'erreur soit présente dans chaque article de la presse citant les résultats d'un sondage, afin de permettre une meilleure analyse et d'exposer les limites des résultats de chaque sondage. C'est parfois le cas, mais malheureusement pas assez souvent !