La semaine dernière, Twitter a annoncé son intention de s'introduire en bourse (par un tweet, bien évidemment). De très nombreux articles sont parus depuis quelques jours dans la presse à propos du business model et de la valorisation de Twitter. Si on regarde par exemple les articles "Combien vaut (vraiment) Twitter ?" (La Tribune), "Pour séduire les marchés, Twitter devra lever les doutes sur son modèle" (Les Echos), ou bien encore "Twitter entre en Bourse: pourquoi l'entreprise vaut autant d'argent" (Slate), le même business model tout bête y est décrit : amasser des paquets de dollars via la publicité et les tweets sponsorisés. Cela serait donc relativement simple de valoriser Twitter, il suffirait de faire des hypothèses sur la croissance du nombre d'utilisateurs (actuellement 200 millions d'utilisateurs actifs), du nombre de tweets (actuellement 400 millions par jour !!!) et du revenu potentiel via la publicité par utilisateur/connexion/tweet, et vous avez une estimation du chiffre d'affaires de Twitter dans les années à venir. Vous actualisez alors la somme des cash-flows et cela vous donne une valorisation à peu près correcte.
Actuellement, il est vrai que la grande majorité des revenus de Twitter provient de la publicité (chiffre d'affaires estimé à 500 millions de dollars en 2013... et objectif d'un milliard de dollars pour 2014). Mais considérer uniquement les recettes publicitaires pour évaluer la valeur de Twitter est selon moi beaucoup trop réducteur. En effet, Twitter dispose d'une source de recettes incroyable mais pour le moment encore très peu exploitée ou connue : la revente du contenu des tweets ! "Non mais Captain', Twitter ne va tout de même pas revendre les tweets sans intérêt que je met sur mon compte!". En agrégeant des millions et des millions de tweets paraissant pourtant "sans intérêt", puis en analysant cela via des algorithmes, il est possible d'identifier des tendances et de comprendre le présent plus rapidement. Et cela a une valeur inestimable.
Mais combien cela peut valoir tout cela ? Twitter est actuellement associé avec quatre entreprises revendant les données historiques et temps-réel issues des tweets (Gnip, Topsy, DataSift, NTT). Ci-dessous, voici deux images montrant le volume de tweets sur les mots-clés "Syria" et "PSG". Uniquement via l'analyse du volume via Topsy, il est possible d'identifier les moments importants relatifs à ces deux mots-clés.
Vous allez me dire que cela n'a rien de bien passionnant de savoir que l'on parle beaucoup de la guerre en Syrie depuis le 28 août et que l'on a beaucoup parlé du PSG l'année dernière lors de la double confrontation contre le Barça. Mais mettez-vous à la place d'une entreprise, d'un politicien, d'un trader. Pour une entreprise, identifier en temps réel ce qui se dit sur vos produits peut vous permettre d'ajuster votre production, de changer votre campagne de comm' ou bien de contrecarrer un bad buzz avant qu'il n'explose. Pour un politicien, voir le volume de tweets sur un sujet particulier peut permettre d'identifier les sujets qui intéressent les français pour mieux y répondre. Pour un trader, connaître le sentiment général de la population ou bien identifier les périodes de panique générale avant tout le monde peut lui permettre de se payer un beau yacht à la fin de l'année ! Il est aussi possible d'identifier les épidémies, un peu à la manière de Google Flu.
Par exemple le 8 Mars, un paquebot de la Royal Caribbean rentrait au port avec à son bord plus de 100 passagers malades. Entre le moment où il a été possible d'identifier cet évènement via les tweets des passagers, et la première publication dans la presse, il y a eu un délai d'environ une heure. Une heure, c'est à la fois très peu et une éternité. Dans cet exemple, un trader ayant utilisé Twitter aurait eu un rendement de 2,9% en une heure (soit + que le rendement annuel de votre livret A) en pariant à la baisse sur Royal Caribbean. Pour un journaliste, l'analyse de Twitter aurait pu lui permettre de sortir le scoop avant tout le monde. Pour l'entreprise, cela aurait permis une meilleure gestion de crise en améliorant sa communication autour de cet évènement. L'utilisation d'algorithmes peut permettre d'identifier certains évènements invisibles à "l'oeil nu", mais c'est ensuite à l'humain (politicien, chargé de comm'...) de prendre les décisions qui s'imposent (dans le cas du trading, on peut imaginer une totale automatisation, avec les risques que cela comporte en cas de fausses informations, comme le jour de l'annonce d'un attentat contre Obama via le compte piraté de l'Associated Press ayant entraîné un flash-crash boursier de quelques minutes...).
Et des évènements de ce type, il s'en passe des dizaines et des dizaines par jour !
Quelques études académiques se sont intéressées à l'utilisation Twitter pour le "nowcasting" (la prévision du présent) ou le "forecasting" (la prévision du futur) - "Twitter mood predicts the stock market". Certaines études sont d'ailleurs relativement mal réalisées (échantillon étrange, conclusions hâtives...) mais cela ouvre de nombreuses pistes de recherche. Le Captain' vous conseille si cela vous intéresse la thèse d'un chercheur allemand sur ce sujet "Essays on the Information Content of Microblogs and their Use as an Indicator of Real-World Events".
Bref, je n'ai toujours pas répondu à la question "mais combien cela peut-il valoir ?". Les tarifs de DataSift (revendeur de data Twitter) sont accessibles directement depuis leur site : cela dépend bien évidemment du nombre de mots-clés que vous voulez suivre et du nombre de tweets par secondes/minutes sur ce sujet, mais il faut compter au minimum 36.000 dollars par an pour l'accès basique.
Vous en voulez encore plus ? Et bien si vous souhaitez avoir accès à l'ensemble des tweets postés depuis la création de Twitter (et non pas simplement suivre certains mots-clés), vous pouvez sortir votre chéquier ! Selon certaines sources, Twitter avait passé des accords d'accès total aux tweets avec Microsoft, Google et Yahoo en 2010, pour un montant total proche de 35 millions de dollars par an (montant pour accès temps-réel + historique, avec bien évidemment interdiction de revendre les données brutes) ! Et on parle ici de chiffres en 2009/2010, à une époque où Twitter était encore assez peu connu et avait environ 20 fois moins d'utilisateurs qu'actuellement. A cette même période, l'accès à 50% du "firehose" (= 50% de tous les tweets) était facturé par le revendeur Gnip la coquette somme de 360.000 dollars par an.
Contrairement à ce qui est souvent dit, Twitter n'est pas un réseau social, c'est un réseau de l'information ! Et ce n'est pas le Captain' qui le dit, mais Evan Williams, le co-créateur de Twitter.
â€What we have to do is deliver to people the best and freshest most relevant information possible. We think of Twitter not as a social network, but an information network.†-- Twitter co-founder Evan Williams
Conclusion : Selon les premières estimations, la valorisation de Twitter tournerait autour des 10 à 15 milliards de dollars. De la folie pour une entreprise créée en 2006, et une valorisation sûrement incompréhensible pour beaucoup. Mais l'analyse de l'information via le big-data a une valeur incroyable, qu'il ne faut surtout pas oublier lorsque l'on considère la (vraie) valeur de Twitter. P.S : Si vous trouvez un article d'un journal français parlant de cela, je prends ! P.S 2 : Le Captain' ne vous recommande pas de vous ruer bêtement sur Twitter le jour de l'IPO. Cet article a uniquement pour but de présenter un aspect du business model de Twitter qui me semble trop peu connu. P.S 3 : Ce n'est pas impossible, selon la valorisation finale et les variations des premiers jours, que le Captain' se "rue bêtement" sur Twitter tout de même... P.S 4 : Vidéo très intéressante ci-dessous sur le "Social Sentiment" d'IBM.