La polémique a été déclenchée entre autres par le ministre de l'économie François Baroin qui a annoncé il y a quelques jours "qu'on préfère être français que britannique en ce moment sur le plan économique". Avant cela, Christian Noyer, le président de la Banque de France avait suggéré aux agences de notation dans une interview de "commencer par dégrader le Royaume-Uni qui a plus de déficits, autant de dettes, plus d'inflation, moins de croissance que nous et dont le crédit s'effondre".
Réactions immédiates de nos amis anglais, par l'intermédiaire du vice-premier ministre Nick Clegg pour qui "les récentes remarques de membres du gouvernement français sur l'économie britannique étaient simplement inacceptables". De retour dans la cour de récréation, le gouvernement français, après avoir essayé de minimiser la future perte du triple A, s'amuse désormais à rejeter la faute sur ses voisins. En dehors de la forme "non ne nous dégradez pas nous regardez les rosbeefs ils sont encore plus nuls que nous" qui est juste infecte (ce n'est pas le rôle d'un gouvernement ou du président d'une banque de dire cela), intéressons nous au fond pour voir les différences entre les deux économies et comprendre pourquoi l'Angleterre est toujours triple A (sans perspective négative).
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Le rôle d'une agence de notation est de donner un avis sur les capacités d'un émetteur à rembourser ses dettes. Cette capacité dépend de nombreuses variables, dont celles mises en avant par Christian Noyer : le niveau de dette, le déficit public, la croissance... L'état actuel de l'économie est bien sûr important, mais c'est surtout l'évolution future qui impacte la capacité d'un pays à rembourser sa dette. Allez c'est parti pour une comparaison France-Angleterre, basée sur les prévisions du FMI. Les dernières prévisions globales du FMI datent du 20 septembre 2011 ; la situation a pas mal évolué négativement depuis, mais nous allons nous intéresser ici aux trajectoires donc ce n'est pas vraiment dérangeant.
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Comme l'a fait remarqué à juste titre Christian Noyer, la situation actuelle du déficit de l'Angleterre est bien plus mauvaise que celle de la France (déficit proche de 10% du PIB). Cependant, si l'on s'intéresse à la trajectoire des déficits, le FMI prévoit une convergence des déficits des deux pays d'ici 2014. La Commission Européenne confirme ces données en tablant sur une quasi-convergence des déficits en 2013. Fin novembre 2011, le gouvernement anglais a de plus annoncé un plan de rigueur massif (report de l'âge du départ à la retraite à 67 ans d'ici 2026, gel des salaires des fonctionnaires pendant deux ans, suppression de 710.000 postes d'ici 2017), bien plus important que les plans de rigueur français.
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Sur la croissance, il est aussi vrai qu'en 2011 la croissance française sera meilleure que celle anglaise, mais cela ne devrait plus être le cas à partir de 2012 (prévisions confirmées par l'OCDE). Le niveau de dette actuelle et les trajectoires sont assez semblables dans les deux pays (autour de 80/90% du PIB). La situation anglaise semble à priori assez similaire à la situation française. Si l'on ajoute à cela le fait que les ménages britanniques soient beaucoup plus endettés que les ménages français, la situation actuelle anglaise ne fait clairement pas rêver grand monde. Menacer de dégrader l'Allemagne et pas l'Angleterre peut paraître d'ailleurs totalement aberrant si l'on réalise le même type de comparaison macroéconomique. Alors comment l'expliquer? Tout ça car les agences de notation sont américaines et ne veulent pas toucher à l'allié anglais?
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Si l'on met de coté le complot interplanétaire, il est possible de mettre en avant trois explications. (1) La menace actuelle de S&P et Fitch sur le triple A français est due bien sur aux problèmes structurels expliqués ci-dessus, mais aussi aux doutes concernant l'intégralité de la zone euro et la capacité de l'Europe à résoudre la crise actuelle. (2) Contrairement à la Banque d'Angleterre qui peut racheter de la dette anglaise directement sur les marchés et injecter des liquidités en masse, la Banque Centrale Européenne évite cela afin de ne pas créer de spirale inflationniste (l'inflation anglaise actuelle est deux fois supérieure à l'inflation française). (3) Le plan de rigueur anglais a convaincu les marchés sur le réel désir du gouvernement anglais de réduire rapidement le déficit public. Résultat, l'Angleterre emprunte en ce moment sur les marchés à environ 2,1% alors que la France emprunte à 3,1%. Les taux d'intérêt réels en Angleterre sont d'ailleurs proches de zéro ; l'inflation de long terme en Angleterre étant évaluée par le FMI autour de 2%.
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Conclusion du Captain' : "On préfère être français que britannique en ce moment sur le plan économique parce qu'on est plus beau"... Sur le plan économique, pas de quoi non plus faire les malins ; il y a déjà assez de problèmes à régler pour ne pas perdre de temps dans des polémiques inutiles !
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