Lorsque votre banque vous prête de l'argent, que ce soit sous la forme d'un prêt hypothécaire pour l'achat d'une maison ou bien sous la forme d'un crédit à la consommation, elle détient alors une créance sur vous que vous allez devoir rembourser dans le futur. Dans votre tête, vous pensez alors que la banque va garder cette créance dans son bilan (du côté actif), et que lorsque vous allez payer des intérêts ou rembourser le capital de votre prêt chaque année, cette créance va diminuer, jusqu'à l'échéance de votre prêt où vous n'aurez plus de dette et la banque plus de créance. Ce schéma simple, mettant en jeu seulement deux parties (vous et la banque) est pourtant assez loin de la réalité dans de très nombreux cas. C'est là que la titrisation des créances entre en jeu !
Prenons un exemple. Vous avez, au cours de l'année précédente, prêté de l'argent à 50 de vos clients qui souhaitaient acheter une maison (prêts hypothécaires). Dans un schéma classique, vous allez garder dans votre bilan, du côté de l'actif, ces 50 créances, attendre bien gentiment que vos clients vous remboursent et faire une marge sur via les intérêts sur le prêt. Le problème est que si demain vous avez envie d'investir l'argent que vous avez prêté, pour acheter par exemple de la dette souveraine française, vous ne pouvez pas le faire car vous n'avez plus rien dans vos coffres. Et là vous avez alors une idée de génie : pourquoi ne pas regrouper mes créances (les 50 prêts effectués) pour les revendre à une société nouvelle qui se chargera de trouver des investisseurs. Comme ça, le risque de défaut de vos clients sort de votre bilan (vous avez revendu les créances) et en plus vous bénéficiez d'une rentrée d'argent. Et voici comment fonctionne (à peu près...) la titrisation.
Pour être plus précis, une opération de titrisation fait intervenir trois acteurs : (1) le cédant, (2) un émetteur créé de toute pièce pour l'opération appelé Fonds Commun de Créances (ou Special Purpose Vehicle - SPV) et (3) des investisseurs. Dans un premier temps, le cédant (par exemple une banque) vend un actif ou un portefeuille d'actifs (par exemple un lot de créances hypothécaires) à un Fonds Commun de Créances (SPV). Le Fonds Commun de Placement émet alors des obligations, qu'il vend à des investisseurs, dont le produit de la vente à des investisseurs permet de financer l'acquisition du portefeuille d'actifs. Le paiement des intérêts et du principal des obligations créées par le Fonds Commun de Placement est réalisé par la suite grâce aux flux de paiement en provenance des actifs du portefeuille.
Si vous n'avez rien compris, reprenons notre exemple ci-dessous. Vous (le cédant), revendez à un Fonds Commun de Placement vos 50 créances hypothécaires pour un total de 50 millions. Le Fonds Commun de Placement, créé pour l'opération, émet alors 10 obligations d'une valeur chacune de 5 millions avec un coupon équivalent à 5%. Cinq investisseurs se décident donc à acheter une obligation chacun du Fonds Commun de Placement ; ce dernier payant au cédant l'acquisition du portefeuille de créances avec le produit de l'émission obligataire (50 millions). A la fin de chaque année, le Fonds Commun de Placement doit payer aux investisseurs un coupon de 5% (soit 250.000 euros par investisseur), qu'il finance grâce aux intérêts qu'il perçoit sur les créances hypothécaires qu'il détient (lorsque vos ex-clients payent des intérêts sur le prêt, cela sert en partie à payer les investisseurs détenteurs d'obligations). A la maturité de l'obligation, l'émetteur paye aux investisseurs le principal (5 millions par investisseur) grâce aux différents flux perçus via le portefeuille d'actifs (remboursement des prêts hypothécaires). Le surplus réalisé sur l'opération, si par exemple la somme des flux versés aux investisseurs est inférieur à la somme des paiements perçus via le portefeuille de créances hypothécaires, est alors reversé au cédant.
Le graphique ci-dessous, extrait de "La titrisation immobilière : se financer autrement ?", résume tout cela.
Mais à quoi sert finalement ce Fonds Commun de Placement ? Il serait en effet possible que le cédant émette lui même des obligations. Mais dans cette situation, le cédant perdrait deux grands avantages apportés par le SPV : (1) la décorrélation du risque et (2) la sortie des créances du bilan.
Dans le schéma ci-dessus de titrisation, les investisseurs participant à l'opération le font sur base de la garantie sur les actifs dont les flux financiers futurs serviront au paiement des intérêts sur les titres et à leur remboursement. Si jamais les flux financiers ne permettent pas de payer les investisseurs, par exemple si de nombreuses personnes ne sont plus en mesure de rembourser leurs prêts, les investisseurs ont alors possibilité de se retourner contre le SPV, mais à aucun moment contre le cédant, qui n'a, en tout cas juridiquement, rien à voir dans l'opération de l'émission d'obligation par le SPV. Le cédant ne se porte donc aucunement garant de la dette obligataire émise.
De plus, lorsque le cédant vend son portefeuille d'actifs, cela sort par définition de son bilan. Cela permet au cédant (à une banque) d'améliorer certains de ses ratios de solvabilité bancaire et de respecter la réglementation bancaire (type Bâle III). Et cet avantage est loin d'être négligeable.
Mais alors, la titrisation serait donc une solution miracle, permettant aux investisseurs d'obtenir des rendements attractifs et aux banques de sortir le risque de leur bilan tout en baissant leur coût de refinancement ? Si vous regardez bien le graphique ci-dessous, lorsque le SPV émet des obligations, celles-ci correspondent à des "titres notés". C'est à dire que, tout comme d'ailleurs l'énorme majorité des obligations, les titres émis par le SPV sont notées par des agences de notation. Un des problèmes de la titrisation est lié à la complexité du portefeuille d'actifs sous-jacent, qui peut rendre difficile l'évaluation réelle du risque. Dans le cas de la crise des subprimes, les fameux titres ABS (Asset-Backed Securities) ou MBS (Mortgage-Backed Securities), valeurs mobilières créées via le principe de la titrisation et dont les flux sont basés sur ceux d'un actif ou d'un portefeuille d'actifs, étaient considérées part les agences de notation comme "sans risque" ou "très peu risqué" (par erreur ou par conflit d'intérêt, la question est ouverte...), ce qui a participé à créer la bulle immobilière américaine. Avec le destin que l'on connait....
Conclusion: De nombreuses techniques financières ont été créées avec comme objectifs de départ une meilleure gestion du risque ou bien une baisse du coût de financement. La titrisation, en permettant de transformer des créances traditionnellement illiquides et gardées par leurs détenteurs jusquâ€Ã lâ€Ã©chéance en titres négociables et liquides rentre donc parfaitement dans ce cadre. Mais le problème est que ces techniques financières ont aussi tendance à complexifier le système et à le rendre moins transparent (difficulté d'évaluation du risque par exemple), et donc à rendre le système plus vulnérable en période de crise. Les fameuses dérives de la finance et la difficulté de la régulation, pourtant nécessaire, du système financier.