Allez back à la théorie aujourd'hui, avec un premier article sur le fonctionnement d'une Banque Centrale. Cela ne vous inspire peut-être pas, mais il est très utile d'avoir une idée du fonctionnement d'une Banque Centrale en étudiant son bilan comptable et ses comptes annuels. Et oui, pour ceux qui avaient tendance à l'oublier, une Banque Centrale réalise, à la clôture de chaque exercice, un bénéfice ou une perte. Pour l'année 2010, la Banque Centrale Européenne a dégagé un excédent de 1334 millions d'euros!
"Captain' c'est pas censé être la crise? Comment la Banque Centrale Européenne a t-elle fait un bénéfice énorme comme cela en 2010? Et où sont allés ces bénéfices?" Sur les 1334 millions d'excédents, 1163 millions d'euros ont été mis en "provisions pour risque", une sorte de coussin que la BCE pourra utiliser en cas de choc (risques de changes, risques de taux, risque de crédit...). Cela nous amène donc à un bénéfice net de 171 millions d'euros. Si vous avez envie de lire le "Rapport annuel 2010" de la BCE, vous pouvez le consulter ici. Le Captain' n'étant pas malade au point de lire le rapport de 306 pages, voici un copier/coller de ce qui nous intéresse ici, le "Compte de Résultat 2010 de la BCE".
On retrouve bien notre bénéfice de 171 millions pour l'exercice 2010, et la hausse des provisions de 1163 millions. Simplement pour info, on voit aussi qu'en 2009, la BCE avait dégagé un bénéfice de 2253 millions d'euros. Not bad! Mais d'où proviennent les recettes de la BCE? Sans analyser en détail le compte de résultat, les recettes de la BCE proviennent principalement (1) des intérêts perçus sur les titres étrangers détenus en réserves, (2) des intérêts perçus lors des prêts aux banques et gouvernements et (3) des plus-values sur les opérations financières. Rien compris? Détaillons alors chaque point:
(1) La Banque Centrale détient des réserves de change (en dollar par exemple), par le biais entre autre d'obligations souveraines américaines. Ces réserves sont principalement utilisées pour contrôler le taux de change de l'euro. Comme tout détenteur d'obligations, la BCE perçoit donc des intérêts sur la dette étrangères qu'elle détient. Si l'on compare les recettes de ce poste par rapport à celles de 2009, elles sont en baisses (voir 1ère ligne : 366 millions de recettes en 2010 contre 700 millions en 2009). Ceci peut-être expliqué par le niveau plus bas en moyenne des taux d'intérêt appliqués aux actifs libellés en dollars (baisse des taux US entre 2009 et 2010).
(2) Lorsque la BCE prête aux banques de la zone euro, les banques doivent verser en échange à la BCE des intérêts (-> autres produits d'intérêt). De plus, lorsque la BCE achète par exemple de la dette italienne pour calmer les marchés, le bilan de la BCE contient désormais à l'actif des bons souverains italiens, qui rapporte des intérêts.
(3) La BCE peut aussi réaliser des plus-values, lors par exemple de la revente de bons du trésor achetés précédemment. Comme une banque classique, lorsque la BCE achète un titre quelconque et le revend plus cher, elle réalise un gain qui est inscrit dans son compte de résultat. La BCE peut aussi faire des plus-values dans le cas de revente d'or en stock ou bien encore de gains de change sur les sorties de devises.
Voici donc côté recettes. Du coté des dépenses, la BCE doit payer des intérêts aux banques de la zone euro lorsque celle-ci placent de l'argent à la BCE (-> autres charges d'intérêts) et comme toutes entreprises, la BCE a des charges de personnel, d'exploitation et d'amortissement des immobilisations. A l'inverse du point (3), la BCE peut aussi faire des moins-values en cas de revente à perte d'actifs!
Pourquoi avoir mis en provision 1163 millions en 2010, alors qu'en 2009, la BCE avait diminué les provisions de 34 millions? Car la Banque Centrale Européenne détient de plus en plus d'actifs à risque de la zone euro, via ses interventions sur le marché secondaire et les opérations de rachat de dette grecques, italiennes, portugaises et irlandaises. Selon l'économiste en chef de la Deutsche Bank, la BCE est en train de se transformer en une "bad bank" (lire sur ce sujet "The ECB Is An "Enormous Bad Bank" That's Exposed To Everything That Could Go Wrong In Europe"). En cas de défaut d'un Etat de la zone euro, la BCE devrait donc éponger ses pertes en utilisant ses réserves, son capital ou en créant de la monnaie. C'est d'ailleurs entre autre pour cela que le capital de la BCE a été quasi doublé fin 2010, passant de 5,76 mds à 11,76 mds.
Et pour finir sur cet aperçu du compte de résultat de la BCE, on en fait quoi des bénéfices? On les reverse à des actionnaires? Et bien indirectement oui! Le bénéfice net est distribué aux détenteurs de part de la BCE (proportionnellement aux parts qu'ils ont libérées). Mais les détenteurs de part ne sont pas de méchants spéculateurs, ce sont des Banque Centrales Nationales (BCN). En 2010, les 171 millions d'euros ont donc été redistribué aux BCN de la zone euro, dont une partie donc à la Banque de France (au prorata des participations).
Conclusion : La BCE n'est pas une entreprise comme les autres (le passif n'est pas exigible), mais une idée même large de son fonctionnement est plus qu'utile. La BCE ne fera pas faillite, car elle a le pouvoir de création monétaire. Mais la dégradation de la qualité des actifs détenus par la BCE pourrait obliger la BCE à recourir à la création monétaire sans stérilisation (donc en augmentant la masse monétaire), et donc ne plus alors assurer son rôle de lutte contre l'inflation. Plus de détail dans quelques jours, avec l'analyse de l'actif et du passif de la BCE.