Depuis la démission de Bob Diamond, directeur général de la banque Barclays, il y a quelques jours, le "scandale du LIBOR" fait désormais la Une de nombreux journaux. Si vous avez raté le wagon et que vous ne comprenez rien à cela, voici un rappel de la situation et des potentielles implications du scandale du LIBOR.
Tout d'abord, c'est quoi le LIBOR? Le LIBOR est le London InterBank Offer Rate, qui correspond au taux auquel les banques se prêtent de l'argent entre elles (pour une devise et une maturité concernée). Chaque matin à 11h, chacune des principales banques mondiales annonce le taux auquel elle peut emprunter, sans garantie, aux autres banques (toujours pour une devise et une maturité donné), et un taux moyen, en supprimant les 25% de réponses extrêmes, est calculé en fonction des annonces de chaque banque.
Le cours du LIBOR est ce que l'on appelle un fixing, c'est à dire qu'il est déterminé une fois par jour (vers 11h donc) et ne bouge pas jusqu'au jour d'après (comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, il n'y a pas de mouvement intraday). Ce cours est calculé non pas en fonction de transactions réelles, mais en fonction des annonces des banques. Par exemple, si l'on regarde le cours du LIBOR 3 mois sur le dollar, il est aujourd'hui à un niveau de 0,4606 , ce qui correspond donc au taux auquel les banques déclarent, en moyenne, emprunter en US dollar à 3 mois aux autres banques.
Ce taux sert de référence à de très nombreuses transactions financières dans le monde. Par exemple, une entreprise peut faire un prêt à sa banque, avec un taux variable égal à 2% + LIBOR 3 mois. Sur les marchés financiers professionnels, le LIBOR est utilisé comme taux de base pour un grand nombre de produits financiers tels que futures, options et swaps. L'intégrité et la fiabilité du taux LIBOR est donc fondamental ; il faut en effet que ce taux reflète les conditions réelles du marché.
Cela ne vous paraît peut-être pas super important, mais un chiffre va vous persuader de l'importance du LIBOR. Sur la 1ère moitié de l'année 2011, un montant total de 554 mille milliards de dollars de transactions dépendait du taux du LIBOR ! Bref, changer le taux du LIBOR de 0,05 points peut avoir d'énormes conséquences sur l'économie.
Vous commencez à voir la manipulation ? Il y a des traders à la Barclays ; ces traders ont des positions sur les marchés financiers ! Non toujours pas? Et bien c'est assez simple. En fonction de l'évolution du taux LIBOR (à la hausse ou à la baisse, selon la position acheteur ou vendeur de produits financiers de ces traders) les traders de la Barclays peuvent être amenés à faire de juteux gains (en cas de prévisions dans le bon sens). Et étant donné que le taux du LIBOR est déterminé par les annonces chaque matin des grandes banques mondiales, il suffit pour la Barclays d'annoncer un taux différent du taux réel, dans le sens qui avantage ses traders.
C'est l'accusation que porte la Financial Service Authority (FSA), le gendarme de la bourse londonnienne, envers la Barclays. Dans le rapport officiel publié le 27 Juin (source: ici), la FSA accuse Barclays, je cite:
"Barclays acted inappropriately and breached Principle 5 on numerous occasions between January 2005 and July 2008 by making US dollar LIBOR and EURIBOR submissions which took into account requests made by its interest rate derivatives traders (â€Derivatives Tradersâ€). At times these included requests made on behalf of derivatives traders at other banks. The Derivatives Traders were motivated by profit and sought to benefit Barclays†trading positions."
En plus des manipulations pour avantager ses traders, Barclays a manipulé son annonce de taux LIBOR afin de faire taire des craintes concernant sa santé financière. Par exemple, supposons que le taux moyen des autres banques pour le LIBOR 3 mois en $ soit de 0,5%, et que la banque elle emprunte en réalité à 0,7% pour cette même maturité. Si la banque annonce son taux réel, alors elle enverra un très mauvais signal au marché, car un taux plus élevé est signe d'un risque plus élevé. Comme d'hab, je cite pour les anglophones:
"Barclays acted inappropriately and breached Principle 5 on numerous occasions between September 2007 and May 2009 by making LIBOR submissions which took into account concerns over the negative media perception of Barclays†LIBOR submissions.Senior managementâ€s concerns in turn resulted in instructions being given by less senior managers at Barclays to reduce LIBOR submissions in order to avoid negative media comment. The origin of these instructions is unclear. Barclays†LIBOR submissions continued to be high relative to other contributing banksâ€submissions during the financial crisis".
Pour ces manipulations, Barclays a été condamné à payer une amende d'environ un demi milliard de dollars... Mais ne vous inquiétez pas ; les amendes ne devraient pas tarder à tomber pour les autres banques; la Barclays n'étant peut-être (sûrement) que la partie émergée de l'iceberg. De nombreuses banques françaises participent au processus de détermination du taux du LIBOR et de l'EURIBOR (= même chose que le LIBOR mais de la zone euro). Lesquels? Voici la liste: BNP - Paribas, Banque Postale, Crédit Agricole s.a., Crédit Industriel et Commercial CIC , HSBC France, Natixis / BPCE, Société Générale. Reste maintenant à voir si ces banques ont ou non participé aux manipulations sur les taux interbancaires.
Conclusion: "L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté ; celui qu'on pourchasse est celui de la servitude". J.J Rousseau, dans Confessions. Je pique cette conclusion de l'article très critique de Jean-Yves Archer publié sur Les Echos hier "Les banques et l'archipel de la cupidité", dont voici un petit extrait pour vous mettre en appétit: "Mais dans cette crise bancaire qui s'étire depuis 2008, il y a toujours un moment un rien pathétique : la City, connue pour son grand libéralisme, vient de demander plus de régulation et vient †par l'intermédiaire de l'Association des banques britanniques †de suggérer au Gouvernement de superviser la fixation du Libor. Au plan méso-économique, cela prouve que les firmes transnationales peuvent se jouer des régulations et fausser le thermomètre cardinal de la finance mondiale. Insoutenable."
Parmi les dizaines d'emails et d'échanges interceptés par le FSA, le Captain' aime spécialement celui-ci. Pour lire l'ensemble du rapport, c'est par là .