Après avoir vu hier les dangers de l'hyper-inflation, le Captain' continue la "semaine spéciale inflation" en vous expliquant comment l'inflation permet de réduire le poids de la dette. Nous verrons tout d'abord (1) via quel mécanisme tout simple l'inflation permet de réduire le poids de la dette, (2) quelles sont les dangers de cette méthode et (3) pourquoi cela ne marche pas à tous les coups.
Lorsque l'on parle du poids de la dette, il s'agit tout simplement de la dette en valeur (=en euros), divisée par le PIB en valeur (=en euros). Pourquoi en France a t-on une dette égale à 85% du PIB ? Tout simplement car la France (=Etat + collectivités territoriales + organismes publics) doit actuellement à ses créanciers la modique somme de 1700 mds d'euros ; le PIB de la France étant de 2000 mds d'euros --> 1700 divisé par 2000 = 0,85. Le compte est bon.
Poids de la dette = Valeur de la dette / Valeur du produit intérieur brut. Il n'y a donc pas mille façons de réduire le poids de la dette. Il faut que la variation annuelle du numérateur (=dette en valeur) soit plus faible que la variation annuelle du dénominateur (=PIB en valeur). Exemple: Si la dette augmente en 2012 de 3% en valeur, mais que le PIB augmente de 4% en valeur (via la croissance réelle et/ou l'inflation), alors le poids de la dette diminuera.
De quelle façon la France pourrait donc facilement diviser le poids de sa dette par 2 en un an? Par exemple en ayant une inflation autour de 100%! Explications : s'il y a 100% d'inflation, tous les prix vont être multipliés par 2. Si on simplifie à fond le raisonnement, le PIB de la France en euros (=PIB en valeur ou PIB prix courant ou PIB nominal) va donc doubler, passant fin 2012 à environ 4000 milliards d'euros. Supposons que la France rembourse les intérêts de sa dette et qu'il n'y a pas déficit en 2012, alors à la fin de l'année la dette de la France sera toujours exactement 1700 mds d'euros. Le nouveau ratio de dette est 1700 divisé par 4000, soit 42,5% du PIB. Même dans le cas où la dette de la France augmenterait de 200 mds à cause d'un déficit énorme en 2012, le poids de la dette serait très fortement diminué via l'inflation, passant de 85% en 2011 à (1700+200)/4000 = 47,5% du PIB.
Mais est ce que cela signifie pour autant qu'il y a eu une forte croissance réelle en France? Point du tout! La croissance réelle est calculée comme la variation du PIB en volume, c'est à dire en considérant les prix constants et en s'intéressant aux changements de quantités produites. Dans notre cas, il n'y a absolument aucune croissance, la variation du PIB étant uniquement due à des variations de prix et non pas à des variations de volume.
Pour plus de clarté, prenons le même exemple avec un individu. Vous avez emprunté 200.000 euros pour acheter un studio à Paris, et votre revenu annuel est de 50.000 euros. Le poids de votre dette par rapport à votre revenu est de 400%. L'année suivante, on vous annonce que tous les prix de l'économie vont être multipliés par 2, et que votre salaire va lui aussi être multiplié par 2. C'est le cas si l'inflation est de 100% et que la hausse des prix entraîne une hausse des salaires de même ampleur (boucle prix-salaires). Dans ce cas là , votre pouvoir d'achat reste le même ; tout coûte deux fois plus cher mais votre salaire a lui aussi doublé. Mais qu'en est-il de votre dette? Votre nouveau salaire est donc de 100.000 euros, et vous devez toujours à votre banque 200.000 euros. Grâce à l'inflation, le poids de votre dette n'est donc plus que de 200% votre revenu.
La bonne affaire ! Mais pourquoi alors tout le monde n'utilise pas cette superbe tactique? Le problème est que l'inflation aura un impact (1) sur le pouvoir d'achat car le revenu ne s'ajustera pas parfaitement pour tout le monde, (2) sur les taux de change car en cas d'inflation en Europe, l'euro perdrait de sa valeur (sinon baisse de compétitivité via hausse des salaires) (3) car ensuite les investisseurs demanderont dans le futur des taux d'intérêts bien supérieurs pour compenser le risque d'inflation et (4) car une partie de la dette est indexée sur l'inflation. Le cas de l'hyper-inflation au moment de la République de Weimar est là pour rappeler les dangers d'une inflation galopante.
L'inflation n'est donc pas une solution miracle au problème de la dette. Comme le rappelle l'INSEE, "l'inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix". Cela va créer une baisse de pouvoir d'achat, principalement chez les personnes touchant une rente fixe ou bien une rente évoluant moins vite que l'inflation. Cela touchera donc les "rentiers" au sens commun du terme, par exemple les personnes vivant des coupons annuels (= intérêts) reçus de la détention de dette souveraines. Leurs rentes étant fixes en valeur et les prix augmentant rapidement, ils verront donc leur pouvoir d'achat baisser. Mais c'est aussi le cas pour les retraités, dont le pouvoir d'achat va diminuer si les retraites ne sont pas revalorisées avec l'inflation.
Dernier point limitant les effets de l'inflation sur le poids de la dette : une partie de la dette est indexée sur l'inflation. Dans le cas des obligations indexées sur l'inflation, l'investisseur protège son pouvoir d'achat. En France, si l'on s'intéresse non pas à la dette publique totale mais uniquement à la dette de l'Etat (sans les collectivités territoriales et organismes), environ 13% des obligations sont indexées sur l'inflation. Pour 13% de la dette donc, l'inflation n'aurait aucun effet sur la réduction du poids de la dette.
Si vous souhaitez plus d'infos sur le sujet, le Captain' vous recommande trois articles aux conclusions différentes. Le premier "pour" le recours à l'inflation L'inflation, solution contre la dette ? et un autre assez neutre L'inflation un poison qui soulage... à faible dose et un dernier article "contre" Crise : l'inflation est un problème, pas une solution ! .
Le rôle principal de la BCE est de garder la stabilité des prix, avec une inflation au dessous mais à un niveau proche de 2%. Mais certains économistes, dont par exemple le chef économiste du FMI Olivier Blanchard, ont émis l'idée de réfléchir à une nouvelle cible d'inflation, autour de 4%, afin de donner plus de latitude aux autorités pour relâcher leur politique monétaire en cas de crise (source: interview FMI - merci @ithurritze pour la précision). Cette idée est aussi partagée par le Prix Nobel Paul Krugman, pour qui "une politique monétaire moins stricte avec une inflation plus élevée - autour de 4 % - offrirait une part de la flexibilité qui manque à la zone euro."
Conclusion: Une hausse de l'inflation pourrait apporter plus de souplesse au niveau de la politique monétaire en cas de crise (cf Blanchard), un gain de compétitivité si les prix augmentent plus vite que les salaires (cf Krugman), et en plus une baisse du poids de la dette (cf Captain'). Alors pourquoi ne pas franchir le pas? En dehors de ces avantages, l'inflation feraient baisser le pouvoir d'achat et donnerait de mauvais signaux aux marchés, ce qui renforcerait la défiance des investisseurs et ferait augmenter dans le futur les taux d'intérêts. Il est très important d'avoir une inflation cible, afin de contrôler les anticipations inflationnistes. Après faut-il absolument que cette cible soit celle actuelle de 2% ? Le débat est ouvert...