Depuis maintenant quelques années, les machines sont en train de remplacer les hommes dans de nombreux domaines. Parmi les exemples frappants, citons par exemple le remplacement progressif des caissières de supermarché (euh, des hôtesses d'accueil pardon) par des caisses automatiques, et la diminution de nombre de vendeurs au MacDo avec l'apparition des bornes automatiques. Dans un cas comme dans l'autre, l'apparition de machines a entraîné une diminution du nombre d'employés dans ces deux secteurs (par rapport à une situation sans machine), et à première vue, les machines sont donc responsables de la hausse du chômage actuel. Simple, efficace, mais ... faux !
La crainte de voir l'emploi disparaître avec l'apparition des machines ne date pas d'hier. Au XIXème siècle par exemple, une histoire raconte que Joseph Jacquard, lâ€inventeur dâ€un nouveau métier à tisser révolutionnaire, aurait échappé de peu à la mort et vu sa mécanique brûlée en place publique par la foule mécontente (révolte des Canuts de 1831 à Lyon) car l'apparition du "métier Jacquard" avait entraîné de nombreuses destructions de postes chez les ouvriers de la soie de l'époque. De tout temps, les machines ont donc permis de produire davantage en moins de temps, ou bien de produire la même quantité mais avec moins de travailleurs. Les machines permettent donc ce que l'on appelle des gains de productivité ; la productivité étant définie par l'INSEE comme "le rapport, en volume, entre une production et les ressources mises en Åuvre pour l'obtenir". Mais quelles sont les différentes conséquences d'une hausse de la productivité sur le chômage ? Si au fil du temps, l'homme est capable de produire de plus en plus avec de moins en moins de main d'oeuvre, une hausse de productivité est-elle nécessairement synonyme de hausse du chômage, et dans ce cas devrait-on arrêter de remplacer les hommes par des machines ?
Il est assez facile de voir l'aspect négatif d'une hausse de la productivité via l'apparition de machines, en prenant l'exemple de nos caissières de supermarché ou de vendeurs MacDo. A court terme et dans les secteurs concernés, la mécanisation entraîne une baisse de l'emploi, c'est un fait ! Cependant, la hausse de la productivité via la mécanisation a aussi de très nombreux avantages.
En effet, la hausse de la productivité va occasionner une hausse de la production via trois canaux distincts. Le premier impact positif de la mécanisation est la baisse du coût de production des entreprises, qui se traduit ensuite soit par (1) une baisse des prix de vente et donc une hausse du pouvoir d'achat pour l'ensemble de la population ou (2) une hausse du profit des entreprises, qui implique une hausse de l'investissement par la suite (si le cash est gardé par l'entreprise dans un coffre-fort, cet avantage disparaît il est vrai...).
Dans le cas d'une baisse du prix de vente, l'augmentation du pouvoir d'achat va provoquer une hausse de la demande par les consommateurs, et donc les entreprises vont devoir produire davantage pour répondre à cette nouvelle demande. Cette hausse de l'offre va donc provoquer de nouvelles embauches et donc une hausse de l'emploi. Dans le cas d'une hausse du profit, si les entreprises utilisent leurs profits pour financer de nouveaux investissements (nouvelles infrastructures, nouvelles machines), il faudra bien que d'autres personnes ou entreprises fabriquent ces machines ou infrastructures, d'où une hausse de l'emploi. Dernier canal de transmission: la hausse de la productivité, qui implique une hausse du salaire, et donc une hausse de la demande. Les différents effets sont résumés dans le graphique ci-dessous (source : ici).
On voit donc deux effets inverses : une baisse de l'emploi à court terme et une hausse de l'emploi à long terme. Cela rejoint en partie la théorie du déversement d'Alfred Sauvy, qui explique que les progrès techniques et la hausse de productivité entraîne un déversement (un transfert) de l'emploi d'un secteur vers un autre. Par exemple, et bien qu'il soit indéniable que l'apparition de caisses automatiques détruit de l'emploi à court terme dans ce secteur, les différents canaux de transmission permettant d'arriver à une hausse globale de la production impliquent une hausse de l'emploi à long terme au niveau national.
Il faut tout de même nuancer cela, car on émet ici l'hypothèse que les facteurs de production sont mobiles, ce qui veut dire que notre caissière pourra se reconvertir facilement et rapidement dans un autre domaine, ou bien même qu'elle quittera sa caisse pour aller travailler dans l'entreprise fabriquant les caisses automatiques... Pas évident non plus !
"Ok sympa la théorie Captain', mais qu'en est-il en réalité ?". Dans l'étude "Productivity & Employment" (Blanchard, Solow, Wilson - MIT) démontre qu'il n'existe pas de relation à long terme entre gain de productivité et chômage. Historiquement, c'est d'ailleurs durant les Trente Glorieuses que les gains en productivité en France ont été les plus forts (via la mécanisation), et c'est aussi à cette période que le chômage était à son plus bas.
Dans l'étude "Automation, labor productivity and employment †a cross country" (2011), les auteurs démontrent empiriquement que les trois effets théoriques cités précédemment apparaissent aussi en réalité, à savoir (1) l'automatisation et la hausse du nombre de robots permettent une augmentation de la productivité à court comme à long terme, (2) cette automatisation réduit l'emploi à court terme (donc augmente le chômage) mais (3) permet une hausse de l'emploi à long terme.
"The use of a simple theoretical model gave rise to three hypotheses concerning the impact of automation: First, that automation increases labor productivity; second, that automation decreases employment in the short run; third, that automation increases employment in the long run. The empirical study of this paper confirms all three hypotheses. The empirical study is carried out by applying cross country, cross industry data on the use of industrial robots as a measure of automation. It is found that automation has a significant positive impact on productivity in the short run as well as in the long run. Moreover, automation tends to reduce employment in the short run. In the long run, however, employment increases."
Conclusion: Le progrès technique n'est pas créateur de chômage ! A l'échelle d'un pays, les effets négatifs à court terme sont compensés par des effets positifs à moyen et long terme. Par contre il est vrai qu'à l'échelle d'un secteur, et étant donné la difficulté de reconversion à court terme pour certains employés, l'automatisation peut créer une baisse de l'emploi. Cela peut de plus avoir tendance à augmenter les inégalités, car les jobs créés à moyen/long terme tendent à être des emplois qualifiés (fabrication et maintenance des machines par exemple) ou dans de nouveaux secteurs en développement, alors que les jobs détruits par l'automatisation sont majoritairement des emplois peu qualifiés. Il n'y a donc pas uniquement des avantages, il est vrai ! Mais pensez-vous que le monde irait mieux si, de nos jours, les vêtements étaient encore fabriqués par des tisserands ou bien si certaines taches automatisées par des robots étaient de nouveau effectuées par des travailleurs à la chaîne ?