Aux Etats-Unis, depuis août 2000 et la mise en place de la "Regulation Fair Disclosure", lorsqu'une entreprise dévoile une information importante pouvant avoir un impact sur le cours de l'action (chiffre d'affaires, projet de rachat, changement de direction...), il est obligatoire que cette information soit accessible à l'ensemble des investisseurs au même moment. L'objectif de cette réglementation est d'éviter ce que l'on appelle la divulgation sélective ("selective disclosure"), qui consiste à révéler une information importante à un petit groupe d'investisseurs, en permettant alors à ce groupe privilégié de trader avant que l'information ne soit publique, et donc de gagner à tous les coups. Cet avantage se fait au détriment des autres investisseurs et remet en question l'intégrité des marchés financiers ("Those who were privy to the information beforehand were able to make a profit or avoid a loss at the expense of those kept in the dark [...] We believe that the practice of selective disclosure leads to a loss of investor confidence in the integrity of our capital markets.", source : "Security Exchange Commission, Reg FD")
La question qui se pose alors est "comment révéler une information à l'ensemble des investisseurs au même moment ?". Selon la Security Exchange Commission, cette communication non-sélective peut se faire soit via un formulaire spécifique (le "formulaire 8-K"), soit via toutes formes de communication conçues pour effectuer une distribution large et non-exclusive de l'information nouvelle. Avec l'émergence de Twitter et de Facebook, il se pose alors la question de savoir si les réseaux sociaux peuvent rentrer dans cette "forme de communication large et non-exclusive", afin de définir si, en accord avec la Regulation FD, une entreprise peut communiquer des informations clefs via les réseaux sociaux.
Il est vrai que cela peut faire débat : d'un côté, tous les investisseurs peuvent en effet suivre le compte Twitter ou la page Facebook d'une entreprise, et donc avoir accès via les réseaux sociaux aux annonces importantes de l'entreprise en temps réel. De l'autre, si les investisseurs ne sont pas au courant que l'entreprise communique via Facebook ou Twitter, ou bien que l'entreprise communique via un profil privé Facebook ou une page Twitter que presque personne ne "follow", ce n'est pas vraiment "large et non-exclusif".
Il y a seulement quelques mois, le 2 avril 2013, la Security Exchange Commission (autorité de contrôle des marchés financiers américains) a répondu à ces questions dans un rapport clarifiant la place des réseaux sociaux en tant que moyen de communication pour les entreprises. Ce rapport fait suite à un statut Facebook de Reed Hastings, le CEO de Netflix (entreprise de streaming + online TV payant), le 3 juillet 2012, dans lequel il annonçait qu'un million d'heures de streaming avait été diffusé sur Netflix durant le mois de juin (record). Suite à cette annonce sur Facebook (information non-publiée dans la presse, ni sur le site de l'entreprise ou via un formulaire 8-K), l'action Netflix est passée de 70,45$ le 3 juillet au matin à 81,72$ le lendemain soir !
Il est possible de "suivre" le profil de Reed Hastings, et cette information est "techniquement" publique (--> cliquez ici pour voir le profil de Reed Hastings sur Facebook), et d'ailleurs à l'époque du fameux post qui fait débat, plus de 200.000 personnes suivaient déjà le CEO de Netflix sur Facebook. Cependant, difficile de dire que cette information est parfaitement non-sélective et accessible à tous les investisseurs au même moment. La faible vitesse d'intégration de cette information dans le cours boursier (plusieurs heures, le temps que l'info soit ensuite reprise par les médias) montre d'ailleurs parfaitement cela.
Après une longue étude, la SEC a décidé de ne pas poursuivre Reed Hastings pour "non-respect de la Regulation FD" ou bien pour "non-respect de la "Guidance on the Use of Company Web Sites"", en accordant en quelque sorte le bénéfice du doute à Reed Hastings car la régulation n'était pas parfaitement claire à cette époque en ce qui concerne l'utilisation des réseaux sociaux pour la publication d'information nouvelle (source : "SEC - Report of Investigation Pursuant to Section 21(a) of the Securities Exchange Act of 1934: Guidance on the Use of Company Web Sites"). .
Tout en reconnaissant l'utilité d'internet et des réseaux sociaux pour améliorer la transparence, la liquidité et l'efficience des marchés, la SEC a tout de même clarifié la situation de Twitter et de Facebook dans un communiqué le 2 avril 2013 "SEC Says Social Media OK for Company Announcements if Investors Are Alerted". Désormais, une entreprise peut publier sur les réseaux sociaux des informations clefs sur l'entreprise, à condition d'avoir informé précédemment les actionnaires via un canal plus "classique" du compte Twitter ou de la page Facebook publique à suivre, et sur le fait que des informations pourraient être révélées via ces nouveaux canaux de diffusion dans le futur.
"Most social media are perfectly suitable methods for communicating with investors, but not if the access is restricted or if investors donâ€t know thatâ€s where they need to turn to get the latest news.†George Canellos, Acting Director of the SECâ€s Division of Enforcement
Si vous avez suivi l'épisode du tweet de Carl Icahn mardi ayant fait grimpé l'action Apple de 4% sur la journée (lire "Analyse haute-fréquence du "tweet à 11 milliards" de Carl Icahn sur Apple"), nous sommes alors parfaitement dans cette situation ! Alors, Carl Icahn a t-il respecté la régulation de la SEC ? Et bien la réponse est "oui" ! La veille de son double tweet indiquant sa position sur Apple et sa rencontre avec Tim Cook, un formulaire 8-K avait été rempli par Icahn Enterprise L.P, dans lequel il était clairement indiqué que Carl Icahn allait utilisé Twitter pour dévoiler de temps à autres des informations nouvelles sur les entreprises dans lesquelles Carl Icahn a des positions ou compte investir (source: "Icahn Enterprises L.P. Issues Statement Regarding Twitter Account of Chairman Carl C. Icahn" & "SEC Fillings").
"Our Chairman, Carl C. Icahn, intends to use Twitter from time to time to communicate with the public about our company and other issues. Mr. Icahn's Twitter handle is @Carl_C_Icahn. It is possible that the information that Mr. Icahn posts on Twitter (which may include information regarding companies in which we and/or Mr. Icahn have or may be contemplating an investment position) could be deemed to be material information. Therefore, in light of the SEC's guidance, we encourage investors, the media, and others interested in our company to review the information that Mr. Icahn posts on Twitter in addition to the information that we disclose using our investor relations website (http://www.ielp.com/investor.cfm), SEC filings, press releases, public conference calls and webcasts."
Conclusion : L'émergence des réseaux sociaux pourrait faciliter l'accès à l'information pour les "petits investisseurs" et donc améliorer la transparence, l'intégrité et l'efficience des marchés. Il est en effet plus simple de suivre le compte Twitter des X entreprises que vous avez dans votre portefeuille, avec une alerte automatique par push ou mail lors de nouveaux tweets, plutôt que d'aller fouiller dans les formulaires 8-K ou sur la partie "Investors" de tous les sites des entreprises dans lesquelles vous avez investi. Et en plus, cela donnerait du boulot au Captain' pour sa thèse sur l'intégration de l'information dans le prix des actifs financiers. Allez hop, c'est le moment de se mettre à Twitter et de rejoindre les 1700 et quelques followers du Captain' en cliquant sur le lien ci-dessous (bon, Carl Icahn en a 62.000, mais c'est déjà un bon début...)