Contrairement à la grande majorité des pays européens, il n'existe pas pour le moment de salaire minimum légal national en Allemagne. Et oui, uniquement "pour le moment" car cela ne sera plus le cas à partir de 2015. La semaine dernière, le parti conservateur d'Angela Merkel a en effet conclu un accord avec les sociaux-démocrates, en acceptant d'instaurer un salaire minimum national en Allemagne en échange de la formation d'une coalition. D'un point de vue théorique (ce que l'on apprend en L1 de Macro), la mise en place d'un salaire minimum national entraîne une hausse du salaire des travailleurs peu qualifiés, ce qui doit alors diminuer la demande en travail de la part des entreprises (les salariés coûtent trop cher) et augmenter l'offre de travail de la part des employés (davantage de personnes souhaitent travailler car le salaire est meilleur). Il n'y a donc plus adéquation entre la demande et l'offre de travail ; l'offre étant plus forte que la demande, cela entraîne une hausse du chômage dans le pays. Mais alors, pourquoi l'Allemagne souhaite t-elle mettre en place un salaire minimum à l'échelle nationale ? Les allemands sont-ils jaloux de notre superbe courbe de chômage qui va "s'inverser bientôt mais pas tout de suite et on sait pas quand" ?
Tout d'abord, il est important de savoir que même s'il est vrai qu'il n'existe pour le moment pas de salaire minimum à l'échelle nationale en Allemagne, il existe depuis 1997 des accords de branches (ou de secteurs) garantissant un salaire minimum pour l'ensemble des travailleurs d'une branche. Fin 2013, un salaire minimum existait dans 12 branches, allant du nettoyage commercial aux activités de sécurité, en passant par la construction. Il est d'ailleurs intéressant de voir que le salaire minimum est différent selon les branches, mais aussi très souvent plus élevé en Allemagne de l'Ouest qu'en Allemagne de l'Est, avec parfois même un salaire minimum différent spécialement pour Berlin. Le tableau ci-dessous, extrait de l'office allemand de la statistique (source : "Statutory agreed minimum wages in Germany in September 2013"), résume tout cela.
Dans de très nombreuses branches, le salaire minimum est d'ailleurs actuellement supérieur au SMIC français (9,43 euros brut de l'heure en France, source INSEE). L'accord passé entre les conservateurs et les sociaux-démocrates a été basé sur l'instauration d'un salaire minimum national à 8,50 euros de l'heure, soit environ 1 euro brut par heure inférieur au SMIC français.
Selon une étude de Natixis (source : "Introduction dâ€un salaire minimum légal en Allemagne : une bonne nouvelle ?"), l'instauration de ce salaire minimum aura tout de même pour conséquence une hausse de salaire pour 17% de la population allemande, soit 6 millions de salariés ! Cette hausse de salaire sera principalement forte chez les jeunes, les allemands de l'est et pour les employés ayant des "mini-jobs".
Si vous avez parfaitement suivi vos cours de première année de macro, vous allez alors dire que "si les salaires augmentent pour 17% de la population, cela va créer une hausse du chômage via l'inadéquation entre l'offre et la demande de travail (salaire minimum imposé au dessus du salaire d'équilibre, donc la demande n'est plus égale à l'offre)". Hop, un petit graphique, et vous aurez 5/5 à votre examen final. Le problème, c'est qu'en réalité, cela ne se passe pas vraiment comme cela !
Car en réalité, l'effet de l'instauration d'un salaire minimum à un niveau raisonnable sur le niveau d'emploi est incertain. Le Captain' a souligné cette notion de "niveau raisonnable", car bien évidemment, si le niveau du salaire minimum en Allemagne était de 500 euros de l'heure (ce qui n'est pas super raisonnable), alors oui il y aurait bien évidemment une inadéquation entre offre et demande (très forte baisse de la demande en travailleur de la part des entreprises), et donc du chômage. Mais si le niveau du salaire minimum est raisonnable, alors les effets peuvent être multiplies et allant dans des directions opposées (jolie phrase pour dire "on en sait rien et impossible de déterminer précisement l'effet global").
Le lien empirique (en utilisant des données réelles) entre la mise en place d'un salaire minimum et le taux de chômage est un sujet qui a fait, et fait toujours, l'objet de très nombreuses recherches et controverses. Dans un papier de recherche de février 2013, John Smith, chercheur au Center for Economic and Policy Research, a synthétisé les résultats de très nombreuses recherches à ce sujet, pour conclure qu'empiriquement, le lien entre salaire minimum et taux de chômage est très faible, voire inexistant (source : CEPR: "Why Does the Minimum Wage Have No Discernible Effect on Employment?")
"This report examines the most recent wave of this research †roughly since 2000 †to determine the best current estimates of the impact of increases in the minimum wage on the employment prospects of low-wage workers. The weight of that evidence points to little or no employment response to modest increases in the minimum wage."
Mais alors, comment expliquer ce décalage entre la théorie et la réalité empirique ? Simplement car l'instauration d'un salaire minimum peut avoir des effets bénéfiques pour une entreprise (ou tout du moins un effet global quasi-neutre). (1) Selon la théorie du salaire d'efficience, un salarié touchant un salaire minimum et voyant son salaire augmenter pourrait en effet faire davantage d'effort (hausse productivité) ou bien (2) changer de boulot moins fréquemment (baisse de la vitesse de rotation de l'emploi = baisse du coût de recrutement et de formation pour l'employeur). De plus, (3) une hausse du salaire minimum peut créer une augmentation de la consommation de la part des employés ayant reçu une hausse de salaire, permettant de booster la demande agrégée et donc la production des entreprises. Enfin (4), il est possible que les entreprises passent simplement cette hausse du coût des salariés au SMIC en augmentant moins rapidement les autres travailleurs en compensation, ou bien en réduisant les autres avantages pour les employés (et hop, les tickets-restos passent à 5,50 euros et fin de la sortie bowling du week-end... ).
Conclusion : Attention aux conclusions hâtives du type "SMIC = chômage". En réalité, l'effet est plus complexe, et d'un point de vue empirique, il est loin d'être évident que l'instauration d'un salaire minimum à un niveau raisonnable ait un effet négatif sur le niveau d'emploi. L'instauration d'un salaire minimum est Allemagne ne devrait pas avoir de conséquences négatives sur le taux de chômage allemand : le niveau fixé est raisonnable (surtout en considérant que l'on parle ici d'un salaire minimum à 8,50 euros dans 2 ans) et la compétitivité à l'exportation de l'Allemagne ne devrait pas réellement être diminué, car les salariés du secteur exportateur en Allemagne sont des salariés relativement qualifiés (donc cette mise en place du salaire minimum aura un effet très limité pour les firmes exportatrices allemandes). Dans un entretien accordé au journal allemand Bild en avril 2013, Angela Merkel avait exposé son opposition ferme à l'instauration d'un salaire minimum national en Allemagne, en expliquant que le salaire minimum était la cause du chômage élevé dans les autres pays européens. Comme quoi les choses changent vite dans le merveilleux monde de la politique...