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"Il y a des idiots. Regardez autour de vous !" - Divergence de la valeur d'un actif par rapport aux fondamentaux

08/08/2013 Le Captain' Théorie Financière Comportement des Investisseurs
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Lorsqu'il était encore jeune et innocent, Larry Summers a commencé l'un de ses papiers académiques par une phrase devenue célèbre "There are idiots. Look around you". Depuis, le petit Larry est devenu grand, et son CV s'est plutôt bien rempli. Chef économiste de la Banque Mondiale à partir de 1991, médaille John Bates Clark en 1993 (équivalent prix Nobel pour jeune économiste), secrétaire du Trésor sous Clinton, puis président de l'Université d'Harvard et actuellement directeur du "National Economic Council". Pas mal, non ? Mais de qui Larry Summers parle t-il lorsqu'il évoque les "idiots" ? Les méchants politiciens ? Les agences de notation ? Et bien non, pour Lawrence Summers, les idiots sont ceux que l'on appelle les "noise traders", c'est à dire les agents n'investissant pas sur la valeur fondamentale d'un actif mais davantage sur une fausse intuition, un faux signal ou au hasard.

 
 Vous allez me dire que ce n'est pas grave qu'il y ait des idiots sur le marché ! C'est même plutôt une bonne chose si vous êtes un investisseur "intelligent". En effet, selon les travaux célèbres de Friedman (1953) ou de Fama (1965), si des investisseurs irrationnels (= "des idiots") sont présents sur un marché, alors des investisseurs sophistiqués vont profiter de cela en adoptant une stratégie inverse (contrarienne) de celle des investisseurs irrationnels, et en attendant que la valeur de l'actif retrouve sa valeur fondamentale. Prenons un exemple pour expliquer cela. Supposons qu'une force supérieure révèle au monde que la valeur fondamentale d'un actif est de 1000 euros. Si un jour des "idiots" décident par hasard ou à cause d'un signal mal interprété d'acheter cet actif à 1005 euros, alors des investisseurs sophistiqués (intelligents) vont prendre la position inverse en vendant (short-sell) l'actif à 1005 euros avec un objectif de rachat à 1000. A un certain moment, la valeur de l'actif va retrouver sa valeur fondamentale de 1000 euros ; les idiots auront alors perdu et les intelligents auront gagné. Une sorte de sélection naturelle a alors lieu, et petit à petit les idiots sortent du marché à force de perdre contre les intelligents. Ainsi, la valeur d'un actif ne dévierait jamais bien longtemps de sa valeur fondamentale.
 
Malheureusement dans la vie, les idiots ne sont pas si simplement éjectés du marché. Un des papiers fondateurs concernant l'effet de la présence de "noise traders" (nos idiots) est justement l'oeuvre de Larry Summers, co-écrit avec les non-moins réputés Brad DeLong, Andrei Shleifer & Robert Waldmann (source : "Noise Trader Risk in Financial Markets"). Le modèle développé est ce que l'on appelle un modèle à générations imbriquées, dans lequel on distingue deux types d'agents : (1) les "noise traders" et (2) les "sophisticated traders". Les "noise traders" font un peu n'importe quoi, et ont tendance à prendre leurs décisions d'investissement au feeling alors qu'ils ne comprennent pas grand chose au marché. Les "sophisticated traders", eux, ont une parfaite connaissance du marché, et sont capables d'identifier la valeur fondamentale d'un actif. Dans cette situation, il parait alors logique de se dire que les "noise traders" vont perdre à long-terme et que le marché va s'ajuster simplement, en accord avec l'hypothèse d'efficience des marchés.
 
Dans le modèle développé, les deux types de "jeunes" investisseurs ("noise" et "sophisticated") choisissent en période 1 une stratégie en allouant une partie de leur portefeuille dans un actif sans risque (= bons du trésor) et une partie dans un actif risqué (= marché action par exemple). En période 2, les investisseurs devenus vieux revendent alors leurs actifs à une nouvelle génération (les nouveaux jeunes), afin de consommer et de maximiser leur utilité. Le prix de l'actif risqué dépend alors de la demande de la part des nouveaux jeunes dans cet actif (p.s : si vous n'avez rien compris à ce passage, ce n'est pas un drame pour la suite...).
 
Mettez-vous à la place d'un investisseur sophistiqué en période 1. Vous êtes averse au risque, c'est à dire que vous avez peur du risque. Vous vous rendez-compte, au moment de choisir la répartition de votre portefeuille entre l'actif sans risque et le marché action, que l'actif risqué est sur-évalué par rapport à sa valeur fondamentale, et ce car les "noise traders" investissent n'importe comment en étant trop confiant ("bullish"). Vous devez alors "en théorie" parier sur la baisse de cet actif qui est actuellement sur-évalué, et donc vendre à découvert cet actif ! Cette stratégie est en effet la bonne (l'actif retrouvera un jour à sa valeur fondamentale), mais uniquement si vous avez un horizon de placement infini. Vous ne savez en effet pas combien de temps le marché peut rester irrationnel, ni si la prochaine génération ne sera pas encore plus confiante ("bullish") que la précédente ce qui fera encore monter provisoirement la valeur de l'actif risqué.
 
En plus, vous avez peur du risque ! Dans cette situation, vous n'allez donc pas baser votre stratégie uniquement sur un retour à la valeur fondamentale en pariant contre les "noise traders". L'idée générale est que, pour citer Keynes, le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable ("The Market Can Remain Irrational Longer Than You Can Remain Solvent"). Cette impossibilité de prévoir l'irrationnalité future des "noise traders" crée un risque sur les investisseurs sophistiqués, et donc entraîne un retour à la valeur fondamentale beaucoup plus lent que prévu par la théorie. Ce type de phénomène peut justifier la formation de bulle pendant une période relativement longue, en rapport avec les travaux de Robert Shiller.

Oui mais Captain', dans la réalité, les investisseurs ont un horizon de placement suffisamment long pour encaisser les potentielles pertes à court-terme et attendre que l'actif en question retrouve sa valeur fondamentale, non ? C'est en parti vrai, mais il est difficile, même pour un investisseur de long-terme étant persuadé que sa stratégie est la bonne, d'encaisser de fortes pertes à court-terme. Par exemple, supposons que vous soyez manager d'un fonds d'investissement. Vous avez reçu un message divin vous indiquant que l'or est actuellement sur-évalué par rapport à sa valeur fondamentale. Vous pariez donc à la baisse sur le cours de l'or, en attendant un retour à la valeur fondamentale. Mais à court-terme, le cours de l'or ne cesse d'augmenter, alors que pourtant rien n'a changé d'un point de vue fondamental. Pourquoi ? Simplement car les "noise traders" suivent un comportement moutonnier, et achètent de l'or car "les autres le font, alors ça doit être une bonne idée". Vous aurez beau dire "le marché est irrationnel et MOI j'ai raison, à long-terme cela va payer", pas sûr que les investisseurs vous fassent longtemps confiance ou bien même que votre fond soit capable de répondre aux appels de marges en encaissant les pertes latentes.
 
Conclusion : La finance comportementale a pour objectif d'analyser le comportement des investisseurs en tant qu'humain. Et comme tous les hommes, les investisseurs sont soumis à de nombreux biais psychologiques et cognitifs remettant en cause leur rationalité... et donc potentiellement la rationalité et l'efficience des marchés. Si ce sujet vous intéresse, le Captain' vous invite à découvrir la catégorie "La thèse du Captain'", avec plein de résumés d'articles académiques sur ce sujet. La crise de 2008 a mis l'accent sur le fait que les modèles basés sur la rationalité des agents ne fonctionnaient pas ! "L'humain" commence à être davantage intégré dans le raisonnement économique, avec la suppression des hypothèses de rationalité ou de présence d'un agent représentatif. Terminons par une citation de H.L Mencken  : "There is always an easy solution to every human problem — neat, plausible and wrong."
 
 


Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International. N'hésitez donc surtout pas à le voler pour le republier en ligne ou sur papier.


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Le Captain'

Mais qui se cache derrière le masque du Captain'? Bruce Wayne? Peter Parker? Un lobbyiste de JP Morgan?

Et bien désolé de vous décevoir... Mais le Captain' est simplement un docteur en Sciences de Gestion (Finance), maître de conférences en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et conseiller scientifique au conseil d'Analyse Economique. Et qui profite de quelques heures par semaine pour arrêter de geeker sur ses thématiques de recherche en s'amusant à rédiger des articles plus ou moins sérieux sur l'économie et la finance.

Pour une description plus complète de ma vie, c'est ici --> Mais qui est donc le Captain'?. Et pour mes recherches académiques, c'est par là.

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