C'est le débat du moment : comment éviter les délocalisations et relancer l'industrie française ? Protectionnisme, "Made in France", TVA sociale... Les idées pour combattre les délocalisations sont légions mais n'apportent pas vraiment, selon le Captain', de solutions crédibles et de long terme au déclin de l'industrie française. Pour réindustrialiser la France, l'innovation et la recherche, permettant une montée en gamme de la production, pourraient bien être une solution...
En quoi l'innovation et la recherche pourraient permettre de sauver l'industrie française? Regardons tout d'abord la part de l'industrie (en % du PIB) dans les pays ayant comme monnaie l'euro depuis 2001. Comme montré sur le graphique ci-dessous, la France est le troisième pays où la part de l'industrie est la plus faible de la zone euro; l'industrie ne représentant que 18,5% du PIB ! Deux pays sont moins industrialisés que la France : le Luxembourg (car ultra-spécialisé dans les services financiers) et la Grèce (car c'est la Grèce... euh non pardon car spécialisé dans le tourisme et les transports).
En 2002, l'industrie représentait encore en France environ 26% du PIB, contre par exemple à cette même date 31% en Allemagne, 33% en Autriche, 30% en Italie et 26% aux Pays-Bas. Depuis 2002 donc, la part de l'industrie a baissé dans la plupart des pays de la zone. Mais c'est en France qu'elle a le plus diminué (-7,5 points, contre -3,5 points environ en moyenne dans les autres pays).
Il y a bien évidemment une question de coût du travail, le fameux Coût Salarial Unitaire. Mais est-ce l'unique raison? Intéressons nous donc à l'innovation et la recherche, en regardant trois indicateurs (1) les dépenses en Recherche et Développement en % du PIB, (2) le nombre de chercheurs en % de la population et (3) le nombre de brevets triadiques par millions d'habitants .
Il y a clairement un effet de corrélation entre la part de l'industrie et les indicateurs de l'innovation ; plus l'industrie représente une part importante du PIB, plus les dépenses en R&D et le nombre de brevets triadiques devraient être élevés. Mais est-ce une corrélation ou une causalité? C'est à dire est-ce car la part de l'industrie est grande que les dépenses en R&D sont élevées? Ou bien est-ce justement car les dépenses en R&D sont élevées que l'industrie résiste, grâce à la différentiation des produits, à la protection de la concurrence via le dépôt de brevets et à la montée en gamme des produits permettant d'enclencher un cercle vertueux du type: + de dépenses en recherche -> + d'innovations -> différenciation des produits -> + de marges pour les entreprises -> + d'investissements (dont R&D) et hop nouvelle boucle. Je n'ai pas vraiment la réponse à cela, même si par feeling j'opterais pour la seconde solution. Regardons donc nos trois indicateurs pour les pays de la zone euro (certaines données ne sont pas disponibles pour la Grèce).
Premier constat: alors que la France n'a pas vraiment à rougir de ses dépenses en R&D et du nombre de chercheurs, on note un fort décalage au niveau du nombre de brevets triadiques déposés. Mais c'est quoi un brevet triadique au fait? "Un brevet d'invention triadique est un titre de propriété qui accorde un monopole momentané sur l'exploitation de l'invention qu'il protège sur les marchés américain, européen et japonais [...] Ãtant donné les coûts liés à la demande d'un brevet dans trois offices distincts, les brevets d'invention triadiques sont reconnus pour capter les inventions les plus importantes d'un point de vue économique."
L'Allemagne, avec une dépense en R&D supérieure à celle de la France mais un nombre de chercheurs en pourcentage de la population plus faible, a déposé en 2007 deux fois plus de brevets triadiques par habitant que le France. Les Pays-Bas 1,5 fois plus, malgré des dépenses ET un nombre de chercheurs plus faibles...
Dans un Flash Economique intitulé "Il faut accroître les marges bénéficiaires de lâ€industrie en France et en Italie", publié la semaine dernière, Patrick Artus explique la nécessité d'accroître les marges des entreprises françaises, en montrant que le niveau trop "moyen et bas de gammes" des produits fabriqués en France constitue une menace pour l'industrie. L'accroissement des marges pourrait permettre de relancer un processus d'innovation et de montée en gamme, à condition bien évident que les marges soient utilisées pour investir et non reversées en dividende.
Pour tout vous avouer, le Captain' a bien du mal à se forger une idée précise sur ce sujet. Il y a un problème en France au niveau de la faible valeur ajoutée des produits fabriqués (qui sont donc soumis à davantage de concurrences étrangères) mais je ne suis pas certains que l'augmentation des marges pourrait résoudre totalement ce problème. Il faut aussi inciter les entreprises à innover et à investir, en développant davantage encore les initiatives type Oséo (entreprise publique qui finance la croissance des PME) et en essayant de changer les mentalités.
Le manque d'innovation en France, comparé à l'Allemagne, l'Autriche ou aux Pays-Bas, serait-il dû aussi à la plus faible taille des PME et aux différences de mentalité? Au niveau des brevets triadiques, on voit une nette coupure entre "l'Europe latine" et "l'Europe germanique". Je pense que je vais envoyer un mail à Claude Guéant pour avoir son avis sur la supériorité des civilisations en Europe, sûrement la réponse à notre problème du jour ;)
Conclusion: La France, malgré un investissement en R&D relativement élevé, est très loin des leaders de l'innovation en Europe et dans le monde. Il n'est pas possible de protéger indéfiniment l'industrie vieillissante française; il faut donc essayer d'assurer la mutation en une industrie à plus forte valeur ajoutée, basée entre autre sur l'innovation. Mais comment gérer cette montée en gamme? Entre augmentation des marges pour relancer l'investissement, mise en place ou développement de structures (type banque publique d'investissement), ou bien protectionnisme (euh non, mauvaise idée...), la question reste ouverte. Le Captain' attend vos commentaires sur le sujet!