Le 8 septembre 2015, le président François Hollande a annoncé avoir choisi François Villeroy de Galhau, ancien directeur général délégué du groupe BNP Paribas pendant 12 ans (2003-2015), pour succéder à Christian Noyer au poste de gouverneur de la Banque de France. En réponse, en début de semaine, un collectif de 150 économistes a signé dans Le Monde une tribune, à lâinitiative de Jézabel Couppey-Soubeyran, Laurence Scialom et Anne-Laure Delatte, dénonçant un "grave conflit dâintérêts" (et un "problème éthique majeur") et demandant aux parlementaires de s'opposer à cette nomination. Le débat oppose alors d'un côté les partisans du "c'est un ancien banquier, donc il connait parfaitement le système financier et est ultra-compétent" aux partisans du "c'est un ancien banquier, donc il ne pourra pas être totalement indépendant et risque d'être trop tendre avec les banques". Plus globalement, cela ouvre le débat sur les "revolving doors" et le passage du "secteur privé" au "secteur public" (et inversement), avec les avantages que cela peut procurer (expertise, vision globale) et les inconvénients (conflit d'intérêts, sympathie excessive).
Autant le dire tout de suite, le phénomène de "revolving doors" n'est pas nouveau ! Mario Draghi, l'actuel président de la Banque Centrale Européenne, a été Managing Director de Goldman Sachs pendant trois ans avant de devenir gouverneur de la Banque d'Italie. Parcours un peu similaire pour Mark Carney, l'actuel gouverneur de la Bank of England (et précédemment de la Bank of Canada) qui a lui aussi fait son petit tour par Goldman avant de devenir banquier central. De nombreux ex-banquiers centraux font aussi le chemin inverse. Par exemple, Ben Bernanke, ex-président de la FED, a rejoint le fond d'investissement Citadel à la fin de son mandat (senior adviser) tandis qu'Axel Weber, ex-gouverneur de la Bundesbank, a rejoint la banque UBS (président du conseil de surveillance).
Même s'il est vrai que le rôle du gouverneur de la Banque de France est désormais relativement limité depuis la mise en place de l'Union Bancaire, celui-ci siège tout de même au Conseil des Gouverneurs de la BCE et reste (directement ou indirectement) impliqué dans de nombreuses décisions relatives à la supervision et la régulation du système bancaire. Sans rentrer trop rapidement dans la théorie du complot (la finance contrôle le monde), il est donc nécessaire de s'assurer que le gouverneur de la Banque de France soit à la fois un véritable "expert" et totalement "indépendant" !
L'expertise du monde financier peut s'acquérir dans le secteur privé (= dans une banque). En effet, qui mieux qu'un ancien directeur général d'une banque peut comprendre les rouages d'un système financier hyper-complexe ? Cependant, et bien que cela se compte sûrement davantage sur les doigts d'une main plutôt que par centaines, il existe aussi quelques candidats provenant du monde académique ou de la sphère publique ayant parfaitement les compétences pour le poste de gouverneur de la Banque de France. Par exemple, l'expertise de Benoit Coeuré, membre du directoire de la Banque Centrale Européenne depuis 2012, n'est plus à prouver (X-ENSAE, ex-administrateur INSEE, ex-directeur adjoint du Trésor). On peut donc s'étonner (en tout cas le Captain' s'étonne) que la candidature de François Villeroy de Galhau ait été préférée à celle de Benoit Coeuré : à expertise plus ou moins égale (les deux étant de vrais "experts", pas de discussion là dessus) pourquoi choisir le candidat ayant un boulet "conflit d'intérêts potentiel" au pied ? Pourquoi prendre un risque (aussi minime soit-il) dans une période où l'opinion publique regarde déjà le monde de la finance avec suspicion ?
Le problème ne concerne donc absolument pas "l'expertise" de François Villeroy de Galhau (qui est sûrement parfaitement compétent pour ce poste), mais son potentiel "manque d'indépendance". Le conflit d'intérêts peut alors être (1) "explicite", en favorisant son ancien milieu pour servir son intérêt personnel ou celui de ses proches (et en étant parfaitement conscient de ses actions : objectif $$$) ou (2) "implicite", en ayant une sympathie excessive envers le "système" établi et en relâchant ses efforts d'encadrement et de surveillance (sans en être forcément totalement conscient - voir à ce propos l'excellent ouvrage "BlaBlaBanque" de Jézabel Couppey-Soubeyran, chapitre 2).
François Villeroy de Galhau a essayé de démontrer son "indépendance explicite", en annonçant renoncer à sa rémunération différée de la part de BNP Paribas (1,2 million d'euros), en vendant toutes les actions de banques et d'assurances qu'il détient et en annonçant qu'il ne participerait à aucune décision individuelle de la Banque de France concernant BNP Paribas durant deux ans (voir "La longue liste des engagements de François Villeroy de Galhau"). C'est une très bonne chose (bravo à lui), mais cela n'assure cependant en rien son "indépendance implicite". Malgré une pseudo-bonne volonté affichée (avec une hypothèse de bienveillance), difficile en effet de réformer avec vigueur un système dont on a fait partie durant de nombreuses années (impact psychologique / idéologique / biais cognitifs...). Pour reprendre les propos du collectif de 150 économistes, "il est totalement illusoire dâ€affirmer quâ€on peut avoir servi lâ€industrie bancaire puis, quelques mois plus tard, en assurer le contrôle avec impartialité et en toute indépendance." Le manque d'indépendance "implicite" tend donc à favoriser le statu quo et à empêcher le changement, ce qui ne semble pas être une grande idée si l'on souhaite éviter qu'une nouvelle crise financière nous tombe dessus dans 5 ans.
Le secteur bancaire dispose en effet déjà de nombreuses ressources pour contrer ou contourner la régulation : les opérations du lobbying bancaire font bien souvent exploser les réformes avant qu'elles n'entrent en vigueur et les salaires ultra-élevés permettent au secteur financier d'attirer les meilleurs experts pour trouver des failles dans la régulation. Malgré sa toute petite expérience et sa tête de mioche, le Captain' a par exemple déjà été contacté par des membres du lobby bancaire pour écrire des articles ou participer à des discussions "pro-banque" ou "anti-régulation" (ce que le Captain' a refusé, bien évidemment... non pas que le Captain' soit "anti-banque", ce qui n'a d'ailleurs aucun sens... mais indépendance avant tout... et ne souhaitant pas faire carrière dans le milieu bancaire, pas besoin de faire le fayot). Donc si le lobby bancaire essaye, plus ou moins directement, d'influencer un petit blog tenu par un mec de 29 ans tout seul dans sa chambre (= moi), autant vous dire que cela doit frapper fort aux échelons supérieurs...
Il y a donc un déséquilibre naturel entre d'un côté le système bancaire, doté de moyens financiers monstrueux lui permettant de réaliser des opérations de lobbying et de recruter les meilleurs experts, et de l'autre côté les autorités de régulation, qui ne peuvent pas vraiment aligner leurs salaires sur ceux du secteur privé (d'où de nombreux départ du secteur public vers le secteur privé) et dont les effectifs sont relativement réduits. De plus, le régulateur a (presque) toujours un temps de retard sur le régulé. Lorsqu'un problème est identifié, il faut souvent plusieurs années de négociation avant qu'une mesure ne soit mise en place, laissant du temps au régulé pour s'ajuster tranquillement. Etant donné ce déséquilibre naturel, le gouverneur de la Banque de France ne doit donc surtout pas avoir de "sympathie excessive" pour le secteur bancaire (explicite ou implicite) et doit montrer une réelle volonté d'apporter davantage de stabilité dans un système financier qui n'arrive pas à s'auto-réguler.
En ayant été durant 12 ans directeur général délégué du groupe BNP Paribas, et malgré toute sa bonne volonté, le potentiel manque d'indépendance implicite de François Villeroy de Galhau fait peser un risque sur sa capacité (et son désir) à améliorer le système existant. Il n'y aurait pas eu d'autres candidats sérieux, l'arbitrage entre "expertise" et "indépendance" aurait pu se discuter, en se posant alors la question : est-il préférable d'avoir à la tête de la Banque de France (1) un expert mondialement reconnu de la finance ayant un potentiel manque d'indépendance ou (2) Matt Pokora (ou Black M, selon vos préférences), très sympathique et indépendant, mais ne comprenant rien à la finance. Mais dans la situation actuelle, l'Elysée avait le choix entre (1) un expert mondialement reconnu de la finance ayant un potentiel manque d'indépendance de part son passé dans le secteur bancaire privé : François Villeroy de Galhau et (2) un expert mondialement reconnu de la finance, ayant déjà une expérience en Banque Centrale et sans boulet "ex-banquier" au pied : Benoit Coeuré. Et pourtant... Les voies de l'Elysée sont impénétrables !
Conclusion : L'objectif de cet article n'est absolument pas d'attaquer François Villeroy de Galhau en tant que personne, mais de s'intéresser au risque de manque d'indépendance du régulateur lorsque celui-ci débarque du secteur privé. Le cas traité dans cet article est celui du poste de gouverneur de la Banque de France, mais la problématique peut assez facilement être étendue à de nombreux postes à responsabilité dans les institutions en charge du contrôle du système bancaire. Que ce soit François Villeroy de Galhau ou un autre, le Captain' s'en moque totalement (#politesse). Mais face à un secteur bancaire ultra-puissant et dans une période où l'opinion publique affiche une nette défiance envers le monde de la finance et le monde politique, le choix de l'Elysée semble tout de même étrange ! Et si la raison est en réalité "on va le prendre lui car c'est un ancien énarque, comme nous" (c.f : comme Hollande et Jouyet) c'est en fait encore pire... Reste à espérer que, si la nomination de François Villeroy de Galhau est approuvée par le parlement, celui-ci fera une aussi belle carrière de banquier central que l'ex-Goldman Sachs Mario Draghi ! Les exceptions peuvent souvent confirmer la règle...