En 2009, seulement 3 des 34 pays considérés comme "développés" par le FMI ont échappé à la récession : l'Australie (croissance de +1,4%), Israël (+0,8%) et la Corée du Sud (+0,3%). L'Allemagne, de part la forte ouverture de son économie au commerce internationale, a été très largement touchée par la crise : le PIB allemand ayant reculé de 5% en 2009. Mais pourtant, l'Allemagne est le seul pays développé au monde où le taux de chômage n'a pas augmenté au moment de la crise. Comment est-ce possible?
En effet, si l'on regarde la variation du taux de chômage entre fin 2008 et fin 2009, le taux de chômage a augmenté dans tous les pays développés, avec un triste record pour l'Estonie, où le chômage est passé de 5,5% en 2008 à 13,5% en 2009. En gardant le même ordre de tri que sur le graphique ci-dessus, on remarque que ce ne sont pas forcément les pays ayant le plus été touchés par la crise (=ayant subi la plus forte récession) qui ont vu leur taux de chômage augmenter le plus.
Il existe pourtant une relation bien établie entre la croissance et l'évolution du chômage, connue sous le nom de Loi d'Okun. Si l'on s'intéresse au cas de l'Allemagne, en testant la relation entre le différentiel "croissance réelle moins croissance potentielle" (en abscisse) et la variation du taux de chômage (en ordonnée), on remarque bien une relation négative. Entre 1981 et 2008, le taux de chômage a augmenté en moyenne 0,33 point par point de croissance en dessous de 2% (=la croissance potentielle), et inversement diminué de 0,33 point par point de croissance au dessus de la croissance potentielle. En 2009, la récession de 5% ayant touchée l'Allemagne aurait donc due, selon la loi d'Okun, faire augmenter le chômage de (5 - (-2) * 0,33) = 2,3 points.
Mais non ! Le chômage est resté stable en Allemagne sur cette période, puis a diminué de nouveau dès 2010. Alors comment est-ce possible? Il parait en effet logique que, lorsque la production baisse, le chômage tend à augmenter. Une étude du FMI, intitulée "Unemployment dynamics during recessions and recoveries: Okunâ€s law and beyond" s'est intéressée à ce sujet.
La production totale dépend de 3 variables principales : (1) la productivité horaire, (2) le nombre d'heures travaillées par salarié et (3) le nombre de salariés. Si l'on laisse de côté les variations de la productivité horaire, il est possible de répondre à un choc soit en diminuant le nombre de personnes ayant un emploi et en gardant le nombre d'heures travaillées stable, soit en diminuant le nombre d'heures travaillées par salarié mais en gardant le nombre de salariés stable. Le premier cas est créateur de chômage, le second ne l'est pas. Et devinez ce qu'a fait l'Allemagne...
Si vous regardez les courbes rouges, la différence entre l'Allemagne et les Etats-Unis est flagrante. L'Allemagne a fortement réduit le nombre d'heures travaillées par employé, tandis que les Etats-Unis ont vu une chute du taux d'emploi (=signe de nombreux licenciement). On remarque d'ailleurs que le Japon a suivi une direction assez similaire à celle de l'Allemagne, et que comme en Allemagne, le chômage n'a que très peu augmenté (+1 point) par rapport à l'amplitude de la récession japonaise en 2009 (-5,5%). Il faut aussi noter que la protection de l'emploi aux Etats-Unis est l'une des plus faibles au monde (source: OECD Captain Economics), et qu'il est très facile de licencier aux USA. En cas de choc, les entreprises ont donc tendance à ajuster le niveau de production en licenciant, et non pas en diminuant le nombre d'heures par employé.
Mais qui dit réduction du nombre d'heures, dit aussi réduction des salaires (même si la réduction du salaire est souvent moins que proportionnelle à la réduction du temps de travail). Et c'est l'une des critiques qui revient souvent sur la situation du travail en Allemagne, où "20% des salariés allemands sont payés à un niveau inférieur au SMIC horaire français et 40% ont un salaire mensuel net inférieur à 1000 euros" (source: L'Express). L'évolution démographique en Allemagne a de plus été un avantage au moment de la crise (moins de jeunes entrant sur le marché du travail en période de crise = moins de chômage), mais sera un fardeau pour l'Allemagne dans les années à venir (lire "L'évolution démographique et la natalité : point fort de la France?").
Conclusion: Il n'y a pas de recette miracle en Allemagne ; la baisse du chômage ayant été permise grâce à des pressions sur les salaires. Mais entre être au chômage ou bien avoir un emploi et garder contact avec le monde du travail, le Captain' pense qu'il n'y a pas photo. Sans reprendre à la lettre le modèle allemand, ajouter de la flexibilité au niveau du nombre d'heures travaillées, afin de sauvegarder des emplois en cas de choc, parait une assez bonne idée. Avant le week-end, le Captain' vous conseille de lire l'article sur Le Monde "La flexibilité du travail, sujet fantôme de la campagne électorale". A lundi les amis ;)