En France, lorsque la croissance est inférieure à 2%, le taux de chômage à tendance à augmenter. Cette relation empirique entre le taux de chômage et la croissance a été démontrée par Arthur Okun en 1962 : c'est ce que l'on appelle la loi d'Okun. Mais pourquoi par exemple si la croissance est de 1%, le taux de chômage à tendance à augmenter? En période de croissance, même faible, la richesse totale produite par le pays augmente : le taux de chômage devrait donc diminuer, non?
Et bien non ! Car la croissance dépend des gains de productivité par tête et de l'évolution de la population active. Supposons qu'il n'y ai pas de gain de productivité dans un pays, et que la population active (=population ayant un emploi + chômeurs) augmente de 1% par an ; il faut alors pour que le taux de chômage soit stable que le PIB augmente de 1% par an. Même raisonnement en ce qui concerne la productivité : si les gains de productivité sont de 1% par an mais que le PIB augmente de moins de 1% (en supposant une population active stable), cela signifie que moins de personnes travaillent (= une hausse du taux de chômage, malgré une croissance de 1%). En mixant les deux, on comprend pourquoi le taux de chômage ne baisse que si la croissance réelle est supérieure à la croissance potentielle.
En France, sur la période 1990-2007, la croissance moyenne était de 1,9%, répartie de la manière suivante : une hausse de le productivité horaire de 1,7% par an, une hausse du nombre de personnes employées de 0,9% et une baisse de la durée du travail de 0,7% par an (source INSEE). 1,7 + 0,9 - 0,7 = 1,9%, le compte est bon!
Le nombre de personnes employées a donc augmenté en France, sur la période 1990-2007, de 0,9% par an en moyenne (barre bleue sur le graphique ci-dessous). Comment est-ce possible que sur cette période le taux de chômage n'ait pas diminué (8% en 1990 et 8% en 2007) ? Car dans le même temps, la population active a augmenté, le taux d'activité aussi (= population active / population totale), et donc le taux de chômage est resté stable, comme le montre le graphique ci-dessous. Pour rappel, le taux de chômage est défini comme le pourcentage de chômeurs dans la population active : chômeurs / (actifs occupés + chômeurs).
Revenons en à notre loi d'Okun. En dessous d'un certain niveau de croissance, que l'on appelle la croissance potentielle, le chômage a donc tendance à augmenter. En effet, si la hausse de la production (=croissance) est inférieure à la hausse de la productivité par tête (et non pas à la productivité horaire, pour supprimer le problème de la variation du temps de travail) et à la hausse de la population active, c'est donc que le taux de chômage a augmenté.
En France, la croissance potentielle est estimée à 2%. C'est d'ailleurs à peu près la croissance sur la période 1990-2007 (+1,9% en moyenne). Testons alors, en utilisant les données du FMI, si la loi d'Okun est applicable dans le cas français. Selon cette loi, si la croissance est supérieure à 2%, alors le taux de chômage devrait diminué (et inversement). Le coefficient de la droite de régression entre la différence entre le PIB réel et le PIB potentiel d'un coté (en abscisse) et l'évolution du taux de chômage (en ordonnées) est ce que l'on appelle le "beta" d'Okun. Cela permet d'estimer, comment devrait évoluer le taux de chômage en fonction des prévisions de croissance.
Le coefficient de la droite de régression, ici -0,3669, indique que lorsque la croissance réelle est supérieure d'un point à la croissance potentielle, alors le taux de chômage diminue en moyenne de 0,3669 point! J'ai rajouté en rouge un point correspondant à 2009, année de très forte récession en France (baisse du PIB de 2,6%). En suivant la loi d'Okun, il y a donc eu cette année un déficit de croissance par rapport à la croissance potentielle de 4,6 points. Statistiquement, le chômage aurait donc du augmenter de 4,6 * 0,3669 = 1,7 point. Si l'on regarde les chiffres du FMI, le taux de chômage en France en 2008 était de 7,8% en 2008, et de 9,5% en 2009 ; soit une augmentation de ... 1,7 point. Bon cela ne tombe pas juste à ce point à chaque fois, mais la loi d'Okun est une loi robuste, qui est utilisée par exemple dans les Projets de Loi de Finance pour prévoir l'évolution du chômage (et donc les dépenses de l'Etat) et fonction des prévisions de croissance (voir ci-dessous - source ici).
Conclusion: Le FMI a publié en début de semaine sa prévision de croissance pour la France en 2012 : +0,5%. En suivant la loi d'Okun, le chômage devrait donc augmenter d'ici à la fin de l'année de (2 - 0,5) * 0,37 = 0,5 point. Demain, le Captain' vous parlera de l'exemple de l'Allemagne au moment de la crise, qui malgré une énorme récession en 2009 est le seul pays au monde n'ayant pas vu son taux de chômage exploser (= seul pays au monde où la loi d'Okun ne s'est pas appliquée en 2009). Et il y a de très bonnes explications à cela!