Ce matin, la Cour de Karlsruhe avait une partie de l'avenir de la zone euro entre ses mains. Ce tribunal constitutionnel fédéral, en charge de juger la conformité des lois et notamment le respect des droits fondamentaux qui y sont énoncés, a donné son feu vert en jugeant que le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et le pacte budgétaire étaient compatibles avec la loi fondamentale germanique. Avant de passer à la suite, le Captain' vous conseille une remise à jour avec l'article "Le MES: comment ça marche?".
La question sous-jacente était de savoir si les différents traités européens signés depuis quelques mois par les gouvernements sont valables, alors même que cela pourrait remettre en cause la souveraineté budgétaire et que cela expose les finances publiques de chaque pays. En France, le texte du MES avait été adopté par le parlement en février 2012, par 256 voix pour (majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy), 44 contre (Front de Gauche, Verts...) et 131 abstentions (parti socialiste) - source Assemblée Nationale.
Jean-Luc Mélenchon est l'un des grands opposants au MES. Bien que je ne partage pas en général les convictions "del Chon", la vidéo de 3 minutes ci-dessous très intéressante, car elle pose le débat de la souveraineté budgétaire et du "choix des peuples".
Mais pourquoi le parti socialiste s'était-il abstenu? Car avant son élection, François Hollande avait annoncé vouloir renégocier les traités européens ; c'était l'engagement #11 de son programme :
Engagement 11: Je proposerai à nos partenaires un pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance pour sortir de la crise et de la spirale dâ€austérité qui lâ€aggrave. Je renégocierai le traité européen issu de lâ€accord du 9 décembre 2011 en privilégiant la croissance et lâ€emploi, et en réorientant le rôle de la Banque centrale européenne dans cette direction. Je proposerai de créer des euro-obligations. Je défendrai une association pleine et entière des parlements nationaux et européen à ces décisions. Cinquante ans après le traité de lâ€Ãlysée, je proposerai à notre partenaire lâ€Ã©laboration dâ€un nouveau traité franco-allemand.
Le Pacte Budgétaire Européen, négocié par Nicolas Sarkozy puis complété d'un "pacte de croissance" par François Hollande, devrait être présenté au parlement fin septembre / début octobre. L'ajout dun "volet croissance" n'est pas vraiment ce que j'appelle une "renégociation du traité européen", mais bon...
Revenons en à notre MES et à notre fameuse "perte de souveraineté". Le "Traité instituant le Mécanisme Européen de Stabilité" mentionne que "l'octroi d'une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné à partir du 1er mars 2013, à la ratification du TSCG par l'Ãtat membre concerné et [...] au respect des exigences dudit article" (source Conseil Européen). Le TSCG, c'est le fameux traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, plus connu sous le nom de Pacte Budgétaire Européen, qui comprend entre autre l'instauration de la règle d'or (déficit structurel de 0,5% maximum inscrit dans la constitution).
Le MES est donc lié ad vitam aeternam avec son ami la règle d'or. Et c'est là que s'opposent deux visions. La première est celle de "logique budgétaire": il semble normal qu'un gouvernement ne puisse voter un budget en total déséquilibre. De plus, étant donné le niveau des dettes dans les pays européens et les prévisions de croissance, les critères de convergence instaurant un déficit pouvant aller jusqu'à 3% ne sont plus tenables (car même avec un déficit par exemple de 2,5%, la dette en pourcentage du PIB augmente car il n'y a pas de croissance). Si un pays ayant ratifié le pacte budgétaire est en difficulté, il peut alors faire appel au MES qui financera ce pays à un coût réduit (à la manière en quelque sorte du FMI).
La seconde vision est moins rose. En effet selon le traité (article 3, source ici) "un mécanisme de correction est déclenché automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l'objectif à moyen terme ou à la trajectoire d'ajustement propre à permettre sa réalisation. Ce mécanisme comporte l'obligation pour la partie contractante concernée de mettre en Åuvre des mesures visant à corriger ces écarts sur une période déterminée". Ce mécanisme de correction imposera donc au peuple du pays concerné des mesures sans que le parlement ou le gouvernement national n'ait son avis à donner. Les peuples de chaque pays (indirectement via les garanties apportées par les différents gouvernements) seront garants des aides accordées par le MES. Le bien-fondé de l'utilisation des aides et de la conditionnalité des prêts (qui peuvent aller jusqu'à 500 milliards d'euros) ne seront pas soumis aux votes des différents parlements mais décidé par le conseil des gouverneurs du MES, composé des 17 ministres des Finances de la zone euro. Ajoutons à ceci le fait que le Pacte budgétaire ne sera pas adopté en France par référendum (le risque d'un NON étant beaucoup trop important pour que le gouvernement prenne le risque).
Il est possible de tourner cela dans tous les sens, il s'agit bien là d'une potentielle perte de souveraineté! Mais finalement, cette perte potentielle de souveraineté en cas de déficit trop important était déjà inscrite dans le traité de Maastricht signé en 1992, dont voici un extrait ci-dessous (source ici). Une des sources de la crise de la dette actuelle est le non-respect des engagements de Maastricht, et le fait qu'aucune sanction n'ait été imposé aux pays ayant des déficits supérieurs à 3% comme cela était prévu dans les textes. Pour rappel, ce sont la France et l'Allemagne qui, à partir de 2005, ont été les deux premiers pays à ne pas respecter l'objectif de 3% de déficit.
Il existe donc un risque de perte de souveraineté. Attention, c'est un risque et non pas une certitude, car un pays respectant ses engagements n'aura donc pas de perte de souveraineté. Mais (1) a t-on réellement le choix? (2) Peut-on à la fois avoir une politique monétaire unique (monnaie commune et Banque Centrale Européenne) tout en gardant à 100% sa souveraineté nationale dans toutes les situations (même en cas de dépenses incontrôlées) ? (3) Ne sommes nous pas contraints de fixer des règles strictes avec de réelles sanctions, impliquant une perte de souveraineté pour les pays concernés, afin de ne pas reproduire l'erreur des critères de Maastricht d'un déficit maximum de 3% que personne n'a respecté ?
Conclusion: Ce débat houleux entre pro et anti pacte budgétaire devrait faire la Une des médias à l'approche du vote du parlement dans quelques semaines. Bien que cette question soit délicate, le Captain' est un pro-européen et rejoint l'économiste Jean-Marc Daniel, qui a affirmé dans un article paru le lendemain de l'adoption du MES que "La souveraineté, lâ€affirmation des droits des peuples ne passent pas par la gabegie et par la fuite en avant financière. Si lâ€Europe en fin de compte mutualise le bon sens, pourquoi sâ€en plaindre ?". Mes réponses aux 4 questions ci-dessus: (1) malheureusement non, il aurait fallu anticiper ce problème dès la création de l'euro, (2) non, une zone avec une monnaie unique sans union budgétaire et fiscale et sans mouvement des facteurs de productions entre pays n'est pas tenable, et (3) il faut des contraintes fortes et crédibles, pour éviter les comportements de "passagers clandestins".