Si vous êtes propriétaire de votre bien immobilier, vous ne payez pas de loyer. Jusque là , vous me suivez ! Si vous êtes propriétaire et que vous décidez de louer votre appartement à Paris qui est devenu trop petit (1500 euros par mois) pour relouer de votre côté une maison en banlieue (1500 euros par mois aussi), vous allez donc payer un loyer sur la maison que vous louez et vous allez être taxé sur les revenus du capital de la location de votre appartement. Résultat : même si le loyer de votre bien est le même que celui que vous louez en contrepartie, vous allez donc y perdre via la taxation sur les revenus du capital. Lorsque vous êtes propriétaire ET que vous habitez dans votre maison/appartement, vous bénéficiez alors d'un "loyer implicite", qui correspond au loyer que vous auriez dû payer si vous étiez locataire. Votre bien immobilier vous apporte donc un "rendement implicite" qui n'est soumis à aucune taxe.
Vous sentez venir la proposition du Conseil d'Analyse Economique (CAE), non ? Dans un note de recherche publiée en septembre 2013 et intitulée "Fiscalité des revenus du capital", trois économistes membres du CAE, Patrick Artus (chef économiste Natixis), Antoine Bozio (directeur de l'Institut des Politiques Publiques) et Cecilia GarcÃa-Peñalosa (directeur de recherche au CNRS) ont fait une proposition qui ne va pas plaire à tout le monde : "Augmenter la fiscalité sur lâ€immobilier et taxer les loyers implicites nets". Mais avant de s'emballer en concluant "c'est un scandale, l'Etat ne va tout de même pas me taxer pour des revenus implicites (ou fictifs) lorsque je suis propriétaire et que j'habite chez moi", analysons plus en détail la proposition du CAE.
Tout d'abord, et c'est important, le CAE ne propose pas d'augmenter une nouvelle fois les taxes, mais émet une proposition pour que le système soit plus égalitaire et que l'épargne aille vers les secteurs productifs de l'économie. Cela signifie que, si jamais cette taxe est mise en place, cela sera combiné avec une baisse de la taxation sur d'autres revenus du capital. De plus, et comme précisé par Patrick Artus dans une interview hier sur BFM, cette mesure ne peut concerner que les nouvelles acquisitions, car on parle ici de taxer les loyers implicites "nets", c'est à dire après le remboursement des intérêts. Qu'est ce que cela signifie plus précisément ? Si par exemple vous faites demain un emprunt sur 20 ans pour acheter une maison, cela signifie que pendant les 20 premières années, vous allez pouvoir déduire de votre "loyer implicite" la charge d'intérêt sur votre emprunt. Pour le dire autrement, si votre loyer implicite est estimé à 800 euros par mois et que vous payez 800 euros d'intérêt par mois, vous ne paierez rien du tout durant la période de remboursement de votre prêt (avec de plus possibilité de report déficitaire si la charge d'intérêt est supérieur à votre loyer implicite). Mais une fois votre prêt remboursé, vous allez être taxé plein pot sur les revenus tirés de vos loyers implicites !
Un scandale ? Il y a plusieurs façons de voir ce problème. Supposons deux personnes ayant 30 ans et faisant deux choix totalement différents de vie : (1) le premier choisi d'emprunter pour acheter une maison avec un apport de 100.000 euros, et (2) le second choisi de placer ses 100.000 euros en achetant des actions ou bien en investissant dans des start-ups. Dans les deux cas, c'est un choix d'allocation de son épargne dans l'objectif d'un lissage intertemporel de consommation. Dans le premier cas, l'épargne se dirige vers le secteur de l'immobilier, un secteur qui ne produit rien (votre maison ne va pas accoucher de "bébés maisons" dans le futur) et qui actuellement, s'il s'agit de votre résidence principal, bénéficie d'un régime de taxation ultra-privilégié. Oui, il existe la taxe foncière, l'ISF pour les plus chanceux et autres, mais cela reste une imposition "privilégiée". De l'autre côté, si vous avez investi sur le marché action, en finançant donc l'économie productive (ce sont les entreprises qui créent de la richesse et de l'emploi, pas votre maison), vous allez être taxé à la fois sur les dividendes reçus (qui peuvent d'ailleurs vous permettre de payer votre loyer) et sur la plus-value à la revente. Est-ce finalement logique de favoriser l'immobilier plutôt qu'un autre secteur ?
Actuellement, les loyers imputés (si vous êtes propriétaires) sont assujettis à une taxation indirecte d'environ 10% via la taxe foncière ; les loyers effectifs hors dispositifs type Scellier ou Duflot à 62,1% et les dividendes à 55% (taux marginal supérieur) !
La France fait partie des pays au monde ayant déjà l'un des plus fort taux d'imposition sur le capital (voir graphique-ci dessous extrait de l'article du CAE). L'idée n'est donc pas de rajouter une nouvelle couche, mais de simplifier le système pour arriver à une imposition plus "juste et plus transparente" (ces deux points peuvent être discutés dans le cas présent), dans le but d'avoir la meilleure allocation des ressources possibles (capital humain, capital physique, travail...). En effet, à force d'avoir un peu partout des niches fiscales, des dérogations, des régimes spéciaux, et en ajoutant cela une absence totale de stabilité fiscale, l'allocation des ressources, et le cas échéant l'allocation de l'épargne des français, ne se dirige malheureusement pas dans les bons secteurs.
Le Captain' sait qu'il ne va pas se faire que des amis sur ce coup là , mais je pense que cette idée est loin d'être mauvaise ! Il est important de remettre à plat le système de la taxation sur le capital, afin que le raisonnement type depuis de nombreuses années "ah j'ai de l'argent, je vais investir dans l'immobilier, c'est le plus rentable, moins risqué et c'est défiscalisé" s'arrête au plus vite. Les incitations via les politiques publiques de défiscalisation ont pour effet de faire augmenter les prix de l'immobilier en favorisant la demande dans un marché en pénurie d'offre, ce qui a des effets néfastes sur l'ensemble de l'économie. Pour reprendre une autre note du CAE de février 2013 "Comment modérer les prix de lâ€immobilier ?" (Trannoy & Wasmer), "la hausse des prix accentue les inégalités (au détriment notable des jeunes générations de milieux modestes) et conduit à des inefficacités économiques, telles que lâ€Ã©loignement entre domicile et travail, lâ€investissement (en cas de bulle) dans des biens surévalués ou encore la perte de compétitivité de lâ€Ã©conomie française lorsque le coût du logement se répercute sur les salaires ou dans lâ€immobilier dâ€entreprise".
Stimuler l'offre en favorisant la construction, réduire les distorsions de la demande créés par les politiques publiques de soutien et de défiscalisation de l'immobilier et fluidifier le marché, voici trois choses finalement assez simples à comprendre et qui permettraient une meilleure allocation des ressources en France... et donc une plus forte croissance.
Vous allez me dire "oh oui mais pour les futurs "petites" retraites, cette réforme pourrait être dévastatrice" ! Pas totalement faux, surtout qu'il est difficile de savoir ce qu'il en sera du système de retraite dans 20 ans. Il est possible d'imaginer un système de taxation progressif des loyers implicites, une légère décote, tout en considérant que ce système entraînerait en théorie une suppression de la taxe foncière. Le rapport du CAE justifie d'ailleurs la défiscalisation de l'épargne retraite et son rôle de lissage intertemporel de la consommation (en critiquant donc la défiscalisation de l'immobilier et de la "fausse" assurance-vie).
Conclusion : Actuellement en France, le taux de propriétaire est d'environ 58% (voir graphique OCDE ci-après, avec donc environ 22% de locataires "classiques" et 20% de locataires bénéficiant d'un loyer réduit type logement social). Selon l'estimation du CAE, les loyers implicites représentent un total de 120 milliards d'euros par an, soit 75% des revenus fonciers totaux. Une belle petite somme potentielle à redistribuer pour rétablir une certaine homogénéité de la taxation du capital. L'épargne doit arrêter de se diriger vers l'immobilier (voir liste des effets négatifs de la hausse des prix de l'immobilier ci-dessus), et doit aller vers les secteurs productifs qui ont des difficultés de financement, à savoir vers les TPE et les PME. Mais étant donné que le gouvernement n'arrive pas à passer une petite "écotaxe" et panique lorsque 5 mecs avec des bonnets rouges brûlent un radar, pas d'inquiétude à avoir, cette mesure ne sera absolument jamais mise en place avant les prochaines élections. Avant de se faire insulter dans les commentaires, le Captain' répète donc que (1) cette mesure n'a pas comme objectif d'augmenter les taxes, mais de rétablir une certaine homogénéité de la taxation du capital pour permettre une meilleure allocation des ressources vers les secteurs productifs, (2) cela ne concernerait que les nouveaux propriétaires, (3) la charge d'intérêt serait déductible (avec report si charge d'intérêt supérieur au loyer implicite). Voilà c'est bon, vous pouvez m'insulter en connaissance de cause maintenant ;)