Si ce week-end vous ne savez pas quoi faire et que vous vous dites soudainement "hmmmm, si je créais ma propre monnaie", vous allez vous confronter à deux choix : (1) retourner vous coucher et attendre que l'alcool de la veille redescende, (2) réfléchir précisément aux caractéristiques nécessaires pour qu'une monnaie fonctionne et puisse concurrencer les monnaies officielles. Si l'on se concentre sur notre deuxième option (sinon bonne nuit !), la première chose à faire est alors de reprendre votre livre de L1 de macro et regarder les trois caractéristiques d'une monnaie : (1) une unité de compte, (2) un moyen d'échange et (3) une réserve de valeur.
Une monnaie est une institution sociale : elle représente un lien entre des individus appartenant à une même communauté de paiement. Pour qu'une monnaie "fonctionne", il faut que des vendeurs acceptent cette monnaie comme moyen de paiement, que des échanges soient réalisées avec cette monnaie et que cette monnaie ne perde pas (ou au moins "pas trop") de sa valeur avec le temps. La valeur d'une monnaie repose donc sur la confiance accordée par une communauté. Par exemple, un billet de 50 euros n'a rien d'autre que la valeur que la communauté de la zone euro accorde à ce billet ; cela reste un bout de papier avec un chiffre dessus.
Mais la différence entre le bout de papier avec écrit "50 Captain' dollars" dessus et un billet de "50 dollars" classique est la confiance que la communauté apporte à l'émetteur de ce papier. En effet, et même si le dollar (comme toutes les "grandes" monnaies) n'est plus relié à l'or ou bien à une quelconque matière première depuis environ 40 ans, la communauté accorde une confiance à cette monnaie, principalement grâce à la crédibilité de la personne directement en charge de la création de cette monnaie (la Banque Centrale). L'Etat renforce d'ailleurs la crédibilité d'une monnaie en garantissant son usage pour le paiement des taxes, tout en l'imposant en dénominant le salaire de l'ensemble des fonctionnaires dans cette monnaie. La Banque Centrale a de plus comme rôle de garantir la caractéristique de réserve de valeur de la monnaie en contrôlant la masse monétaire afin d'éviter une trop forte inflation. De plus, la monnaie est régulée par des autorités publiques, ce qui permet de garantir les transactions et d'éviter les falsifications (il existe tout de même encore des fraudes il est vrai, mais très peu si l'on rapporte cela au volume des échanges)
Créer une nouvelle monnaie qui ne soient pas contrôlée par une autorité centrale, cela ne semble donc pas évident ! Pas évident certes, mais pas impossible. En 2009, un programmeur japonais surnommé Satoshi Nakamoto a créé la monnaie virtuelle "Bitcoin" ; une monnaie dont la valeur totale en circulation (masse monétaire) représente actuellement l'équivalent de 6 milliards de dollars (de vrais $, ceux avec une tête de président dessus). Il y a donc actuellement environ 12 millions de bitcoins en circulation, avec un taux de change de 1 bitcoin = 500 dollars. Mais comment ce programmeur a t-il réussi son coup ? Si vous souhaitez en savoir davantage sur le fonctionnement technique de cette monnaie, le Captain' vous conseille la vidéo ci-dessous ou bien l'article de Margin Call à ce sujet "Bitcoin mania" (l'objectif de cet article n'étant pas de décrire le processus technique derrière cette monnaie virtuelle, mais les implications, avantages et risques de ce type de monnaie).
Au tout départ, le Bitcoin était utilisé uniquement par une petite communauté de geeks et par des personnes rejettant le système des monnaies fiduciaires classiques contrôlées par une autorité centrale. Mais petit à petit, cette monnaie virtuelle s'est imposée, grâce principalement à (1) un algorithme de vérification des transactions et de création monétaire transparent, permettant donc à la fois d'éviter les fraudes et de connaître l'évolution de la masse monétaire à l'avance, (2) des frais de transactions réduits, bien inférieurs à ceux du système bancaire classique et (3) le fait que les comptes soient anonymes, ce qui permet aux dealers et autres gérants d'activités illégales de se transférer de l'argent facilement et à moindre risque (mais cet argument est finalement vrai aussi dans une certaine mesure pour les paiements en liquide avec les monnaies fiduciaires classiques).
Lorsque le nombre de personnes utilisant une monnaie augmente, il peut devenir intéressant pour des vendeurs d'accepter cette monnaie comme moyen de paiement, ce qui tend à renforcer encore son utilisation ; le cercle vertueux est ainsi lancé. Le graphique ci-dessous montre le nombre de transactions uniques par jour en Bitcoin (multiplication par 10 du nombre de transactions entre octobre 2011 et octobre 2013 !). Et il est fort probable que le nombre de transactions en Bitcoin augmente encore assez rapidement, étant donné le buzz énorme depuis quelques jours autour de cette monnaie virtuelle grâce à la flambée du taux de change Bitcoin / US dollars (passant de 1 bitcoin = 200$ au début du mois à un plus haut de 1 bitcoin = 900$ hier, avant de retomber autour d'un taux de change 1 bitcoin = 500$ aujourd'hui).
Récemment, la BCE et la FED se sont intéressés de près à ce phénomène des monnaies virtuelles (source : "ECB - Virtual Currency Schemes" & "FED Chicago - Bitcoin: A primer"). Et c'est d'ailleurs une annonce récente de Ben Bernanke (FED) qui a fait explosée le cours du Bitcoin ; dans une lettre adressée au Congrès en début de semaine, Bernanke a souligné le potentiel de long-terme des monnaies-virtuelles en citant Alan Blinder.
"While these types of innovations may pose risks related to law enforcement and supervisory matters, there are also areas in which they may hold long-term promise, particularly if the innovations promote a faster, more secure and more efficient payment system."
Mais attention à ne pas s'enflammer avec les monnaies virtuelles ! Tout d'abord, étant donné le relativement faible volume d'utilisation, le cours du Bitcoin est ultra-volatile (avec en plus possibilité de manipulation), donc la fonction de réserve de valeur est pour le moment très loin d'être atteinte. De plus, si une grave faille technique est découverte et exploitée par un geek malveillant, tout le processus de création monétaire de Bitcoin et de sécurisation des transactions pourrait être remis en cause, ce qui détruirait la confiance de la "communauté Bitcoin" et pourrait entraîner la destruction pure et simple de la monnaie. Enfin, s'il le Bitcoin devient LE moyen de paiement pour les transactions frauduleuses ou bien que cela tend à remettre en cause la stabilité du système, alors il y a fort à parier que les Etats et/ou les Banques Centrales interviennent afin de réguler en partie ce système... ce qui en effaçerait en partie les avantages.
De plus, l'algorithme de création des nouveaux Bitcoins a été programmé afin que le nombre de Bitcoin ne dépasse jamais les 21 millions. La masse monétaire est donc limité, ce qui pourrait rapprocher le Bitcoin de la pensée de l'école autrichienne d'économie, mais avec tout de même pas mal de différences car cette masse monétaire limitée implique nécessairement une déflation des biens exprimés en Bitcoin à long-terme (et n'est donc pas une "good money" au sens de Hayek) et que l'école autrichienne plaide en effet pour une création monétaire décentralisée, mais suppose un secteur privé compétitif en charge de l'émission d'une monnaie (ayant donc intérêt à émettre une monnaie stable et de qualité), et non pas un quasi-monopole comme dans le cas de Bitcoin ("first-mover advantage" et risques que comportent un monopole - source du graphique : BCE).
Conclusion : Vous auriez sûrement mieux fait d'aller vous recoucher finalement !