La Banque Centrale Européenne a pour objectif principal la stabilité des prix, avec comme référence "une progression de l'Indice des Prix Harmonisé (IPCH) inférieure à , mais proche de 2%". Mais si l'objectif est la stabilité des prix, pourquoi la BCE ne vise t-elle pas un taux d'inflation de 0% ?
Cet article fait suite à une question que le Captain a reçu par mail (n'hésitez pas à m'en envoyer, cela m'est très utile en cas de panne d'inspiration) que voici "Je n'arrive pas à trouver l'utilité de l'inflation. Puisque la BCE vise un taux de 2% en Europe, c'est qu'elle doit, a petites doses, être utile. Mais, sans inflation, il y aurait une plus forte stabilité, le pouvoir d'achat resterait toujours le même, les salaires ne devraient pas être indexés tous les ans, les taux de change ne changeraient pas autant... Ce serait plus simple, non?"
L'inflation correspond à une perte de la valeur de l'argent avec le temps. Si vous avez 100 euros sur votre compte en banque maintenant, cet argent a plus de valeur maintenant que dans 10 ans, dans le sens où vous pouvez acheter davantage de biens et services avec 100 euros maintenant qu'avec 100 euros dans 10 ans. L'inflation est l'ennemi numéro 1 de la Banque Centrale Européenne. "Le Conseil des gouverneurs de la BCE est chargé de préserver le pouvoir dâ€achat de lâ€euro, ce qui témoigne dâ€un large consensus social selon lequel la politique monétaire, en assurant la stabilité des prix, contribue de manière importante à une croissance durable, à la prospérité économique et à la création dâ€emplois".
Mais il existe aussi un autre ennemi : la déflation ! La déflation correspond à une période de baisse du niveau des prix. Cela peut paraître sympa sur le papier ; si les prix baissent car la productivité augmente ou bien car la concurrence est accrue, c'est en effet une bonne chose pour la société. Mais en réalité, il y a déflation principalement en période de crise, lorsque les bulles éclatent et que l'investissement diminue. Une période de déflation est de plus liée à une baisse de la consommation; car en période de déflation, l'argent gagne de la valeur avec le temps. Pourquoi alors dépenser 100 euros maintenant, alors que 100 euros dans 10 ans permettront d'acheter davantage de biens et services? Dans ce cas de figure, la croissance s'effondre, et la déflation qui apparaît donc comme bonne chose pour le pouvoir d'achat est finalement destructrice de richesse.
En période de crise, le principal outil d'une banque centrale est le niveau des taux d'intérêt, qui permet de stimuler l'investissement. En effet, lorsque le taux baisse, les entreprises peuvent emprunter à taux plus bas, et donc investissent davantage. Mais ce qui compte pour une entreprise n'est pas le taux nominal de l'emprunt, mais le taux réel, dont l'équation de Fisher donne une approximation:
En période de déflation, il est donc impossible d'avoir un taux réel négatif ; le taux nominal (lié au taux directeur de la banque centrale) ne pouvant pas être négatif. Avoir de l'inflation permet donc d'avoir plus de marge de manoeuvre en cas de crise, grâce à la possibilité d'avoir un taux d'intérêt réel négatif pour relancer la croissance.
Supposons que vous puissiez emprunter à un taux proche de 0%, comme c'est le cas actuellement au Japon ou aux Etats-Unis. Mais le Japon est actuellement en période de déflation, alors que l'inflation aux Etats-Unis est d'environ 2,5%. Si vous êtes une entreprise, les prix de vos produits vont donc baisser au Japon, alors que ce sera l'inverse aux Etats-Unis. L'inflation permet donc à la Federal Reserve de stimuler l'investissement (car via l'inflation, il est plus facile pour les entreprises américaines de rembourser leurs prêts), alors que la Banque du Japon peine à relancer la croissance, à cause de la période de déflation que le pays connaît depuis près de 15 ans (lire "Le Japon est dans la trappe !").
Deux derniers "avantages" (enfin cela dépend de quel côté on se place) : (1) l'inflation permet de réduire le poids de la dette contractée, comme le Captain' vous l'avait expliqué dans cet article "La dynamique de la dette : taux d'intérêt, croissance, inflation et solde budgétaire primaire" et (2) l'inflation permet de combattre les rentes (+ d'infos "L'inflation menace, les rentiers doivent-ils s'inquiéter ?").
Conclusion: Le taux de 2% permet donc à la BCE d'avoir une marge de sécurité contre la déflation, tout en assurant une certaine stabilité des prix. L'inflation permet d'avoir un taux d'intérêt réel négatif en période de crise, afin de stimuler l'investissement même si le taux nominal est nul. Il existe techniquement d'autres méthodes pour booster l'investissement en cas de taux d'intérêt nominaux nuls, mais comme la BCE elle même le dit "Même si diverses actions de politique monétaire sont envisageables en situation de taux dâ€intérêt nominaux nuls, lâ€efficacité de telles politiques est relativement incertaine. Par conséquent, il est préférable que la politique monétaire prévoie une marge de sécurité contre la déflation" (source : BCE).