Kobe, 17 janvier 1995: un séisme d'une magnitude de 7,3 fait plusieurs milliers de morts et des milliards de yens de dégâts. Le yen a du se déprécier donc (= perdre de la valeur)? Au contraire, la monnaie japonaise s'est appréciée de près de 20% entre janvier et avril 1995! L'image ci-dessous montre bien une appréciation du yen par rapport au dollar, malgré le fait que la courbe "descende". Pourquoi? Cette courbe montre le nombre de yens qu'il est possible d'avoir en échange d'un dollar. Au moment du tremblement de terre, un dollar s'échangeait contre 100 yens, et 3 mois après, contre 80 yens. Il y a donc bien appréciation du yen, et dépréciation du dollar.
Même combat après le séisme et tsunami de Fukushima. Une semaine après la catastrophe, les banques centrales du G7 ont été obligées d'intervenir sur les marchés afin de stopper l'appréciation du yen! Mais pourquoi donc la valeur du yen augmente après une catastrophe naturelle? Encore la faute aux spéculateurs?
Pour simplifier, le taux de change d'une monnaie dépend de l'offre et de la demande sur le marché des changes. Si tout le monde souhaite détenir des actifs en yen, alors le taux de change du yen augmentera. A l'inverse, si les investisseurs revendent leurs actifs dénominés en yen pour investir dans des actifs dénominés en dollar, alors le yen se dépréciera.
En théorie, les économies à taux de croissance économique supérieurs attireront les investissements à long terme, ce qui doit donc entraîner une appréciation monétaire. Après Fukushima, l'économie japonaise a été paralysée pendant deux trimestres (récession de -1,8% au 1er trimestre 2011, en rouge sur le graphique, puis de -0,3% au second), alors que dans le même temps la croissance était positive aux USA. Il y a, il est vrai, un boost au Japon au 3ème trimestre 2011 (dépenses pour reconstruire le pays), mais impossible de dire que Fukushima fût créateur de croissance (ça se saurait si en cas de crise, il suffisait d'un bon tsunami pour relancer l'économie). En théorie donc, le yen aurait dû se déprécier.
Cherchons donc une explication ailleurs... Comme toutes les économies mondiales ayant un énorme surplus de sa balance courante (principalement car le Japon exporte beaucoup plus qu'il n'importe), les entreprises, investisseurs et assureurs du pays détiennent énormément d'actifs à l'étranger. Pour payer la reconstruction du pays, ou bien rembourser les dégâts dans le cas des compagnies d'assurance, ces entreprises et investisseurs ont vendu une partie de leurs actifs étrangers, pour rapatrier l'argent bien au chaud à la maison (en yen). Cette vente d'actifs dénominés en dollar a donc fait baisser le cours du dollar et augmenter le cours du yen. Logique non?
Craignant une trop forte hausse du yen, qui pénaliserait les exportations japonaises, la Banque du Japon et les Banques Centrales des pays du G7 sont intervenus sur le marché des changes une semaine après la catastrophe, en vendant des actifs dénominés en yen ou bien en achetant des actifs dénominés en dollar en échange de yens nouvellement imprimés par la Banque du Japon. Ceci a permis de stabiliser le taux de change autour de 1$ = 80 yens, et d'éviter que le scénario de 1995 ne se reproduise.
Conclusion: Il n'y a pas dans tous les pays une appréciation du taux de change après une catastrophe naturelle. Ce fût l'inverse en Nouvelle-Zélande en février 2011; les investisseurs étrangers, par peur des conséquences, ayant alors vendu leurs actifs dénominés en dollar nouveau zélandais pour les rapatrier à la maison. La différence entre le Japon et la Nouvelle-Zélande? La balance courante est positive au Japon (= argent dispo' pour les Japonais pour être placé ailleurs) et négative en Nouvelle-Zélande. Le Captain' vous expliquera en détail demain comment une banque centrale peut intervenir sur le marché afin de déprécier sa monnaie, et quels sont les effets de ces interventions stérilisés ou non-stérilisés sur la base monétaire et l'inflation du pays.